Le commandant d'Auschwitz parle
j’avais fait fausse route en renonçant à mon
activité d’agriculteur.
Après m’être librement engagé dans les SS pour un service
actif, je m’étais habitué à porter notre tunique noire, et cet uniforme m’était
devenu trop cher pour que je puisse l’abandonner pour de tels motifs.
Si j’avais avoué que je me sentais trop « mou »
pour servir dans les SS, cela aurait inévitablement entraîné mon exclusion ou,
dans le meilleur des cas, un renvoi définitif. Et c’est à cela que je ne
pouvais me résoudre.
Je luttai longtemps avant de faire un choix entre ma
conviction personnelle et ma fidélité aux serments que j’avais prêtés aux SS et
au Führer. Combien de fois ne me suis-je pas demandé si j’avais le droit de
déserter ?
Ma femme elle-même ignorait tout de ce conflit intérieur qui
me torturait. Je le gardais pour moi. National-socialiste de vieille date, j’étais
fermement convaincu de la nécessité des camps de concentration. Il fallait
mettre les vrais ennemis de l’État sous bonne garde. Il fallait priver de leur
liberté les éléments asociaux et les professionnels du crime qui échappaient
aux rigueurs des lois existantes : c’était le seul moyen de protéger le
peuple contre leurs activités néfastes. J’étais fermement convaincu que cette
tâche ne pouvait être accomplie que par les SS chargés de la défense du nouveau
Reich.
Ceci dit, je n’étais pas d’accord avec les opinions
proposées par Eicke au sujet des internés. Je n’étais pas d’accord avec son
appel aux instincts les plus bas de la troupe de garde ni avec son choix d’un
personnel incapable et maintenu en fonction, même s’il avait fait preuve des
pires tendances. Je n’étais pas d’accord avec la définition arbitraire de la
durée de l’internement.
Mais graduellement, en continuant mon service dans le camp
de concentration, je m’appropriai les opinions qui étaient prédominantes et je
m’habituai à exécuter les ordres qui m’étaient donnés. Je me réconciliai avec
mon sort en gardant toujours l’espoir de pouvoir un jour trouver un autre
emploi.
Pour l’instant, il ne fallait pas y penser car, selon l’avis
d’Eicke, j’étais parfaitement adapté à mes fonctions.
M’étant soumis à l’inévitable, je n’ai pas voulu tuer en moi
les sentiments de compassion pour la misère humaine. Je les ai toujours
éprouvés, mais dans la plupart des cas je n’en ai pas tenu compte parce qu’il
ne m’était pas permis d’être « mou ». Pour ne pas être accusé de
faiblesse, je voulais avoir la réputation d’un « dur ».
Le camp de concentration de Sachsenhausen [40]
Le 1 er août 1938, je fus transféré
comme adjudant [41] à Sachsenhausen. Je me familiarisai avec les activités et les méthodes de l’inspection
des camps. J’appris à connaître de plus près la personnalité de Eicke et l’influence
exercée par lui sur le camp et la troupe. J’entrai en contact avec la Gestapo.
En parcourant la correspondance échangée entre les services supérieurs des SS,
j’obtins un aperçu des rapports qui existaient entre eux. En un mot je pus grandement
élargir mon horizon.
Un camarade employé au service de liaison de l’état-major de
Hesse vint me raconter beaucoup de choses sur l’entourage du Führer. J’avais de
fréquentes rencontres à Berlin avec d’autres vieux camarades de l’époque des
corps francs. L’un d’entre eux occupait un poste influent dans le Mouvement de
la jeunesse du Reich. Un autre était chargé du service de presse à l’état-major
de Rosenberg, un troisième travaillait à la chambre de l’Ordre des médecins du
Reich. Grâce à eux, je pus m’initier, encore plus que par le passé, aux idées
et au programme du parti.
En ces années, l’Allemagne était en plein essor, l’industrie
et le commerce étaient plus florissants que jamais. Les succès obtenus par
Adolf Hitler en politique extérieure sautaient aux yeux et imposaient le
silence à ceux qui se risquaient encore à combattre le régime. Le parti
dominait l’État. Ses succès étaient indéniables, ses méthodes et son but
étaient les seuls justes : telle était alors ma profonde conviction.
Mais les doutes que j’avais éprouvés intérieurement au sujet
de mon aptitude à servir dans les camps de concentration se trouvaient d’autant
plus relégués à l’arrière-plan que désormais je n’avais plus, comme à Dachau,
de contact direct
Weitere Kostenlose Bücher