Le Conseil des Troubles
capitulation, la première de sa vie. Il connaissait l'usage : après quelques heures où la position est battue par les canons et mortiers ennemis, le commandant capitulard de la place sort à la tête de ses soldats, les fantassins drapeaux au vent, puis les cavaliers, les trompettes et le tambour sonnant la chamade, signe que l'on se rend.
Et bien entendu, en ces élégantes redditions, nul n'est retenu et interrogé.
Mais pas eux ! Après tout le mal fait à l'ennemi et depuis si longtemps, on les internerait jusqu'à la fin de la guerre.
Il prit brusquement sa décision, peut-être parce qu'en la magie des chiffres, quarante-cinq jours était un seuil et cinquante la fin de tout.
Demain, à minuit, il tenterait une sortie, par la rivière, sachant d'ores et déjà qu'après quarante-cinq jours de siège, l'honneur français était sauf.
Comme chaque soir à la même heure, deux cavaliers espagnols se présentèrent avec un drapeau blanc. Le noble seigneur qui transmettait l'offre de capitulation était très estimé de Bamberg et des siens car chaque jour, en un français très pur, il variait son appel. Ainsi ce soir où l'on sentait sa voix vibrer d'une sincère admiration devant tant de bravoure :
— Général-duc de Montigny-Bamberg ! Officiers et cavaliers du Maine-Dragons ! Rescapés des gardes-françaises ! De grâce, cessez ce combat inutile et rendez-vous. Vous serez traités en héros, tels les plus valeureux de nos camarades. Rendez-vous, dragons, rendez-vous !
Bamberg se redressa :
— Je n'en doute point, colonel, mais nous ne nous rendrons pas. Et si vous nous avez à votre table, vaincus, c'est que vous voudrez dîner avec des cadavres.
Profondément désolé, le colonel espagnol secoua la tête et se retira. Bientôt, on entendit battre les tambours pour la charge.
— Aux créneaux, feu de salve ! hurla Bamberg tandis que lui-même prenait place derrière leur dernier canon.
1 Autorisation d'« emprunter » des vivres aux populations occupées.
46.
Giovanni Gazzi, marquis de Pontecorvo, ne manqua pas de donner suite à son projet en s'en allant visiter à Auteuil la jolie baronne Marion de Neuville à laquelle il se présenta, un peu abusivement, tel « un ami » du duc de Bamberg.
Il vint tous les deux jours, en début d'après-midi puis, la pluie et le vent ne faiblissant pas de toute une semaine sur la ville de Paris, il proposa de l'accompagner en voiture afin, dit-il, de ne pas exposer à d'inutiles épreuves Pégase, le cheval vieillissant de la jeune femme. Ce dernier argument fut convaincant, à quoi s'ajoutait que le marquis italien n'eut jamais un geste ou une parole déplacés, agissant en tenant d'une véritable amitié. En outre, réaliste, il savait n'avoir aucune chance, ce qui réduit un peu ses mérites. Il n'empêche, le général des Jésuites, par sa grande volonté, savait verrouiller en lui les portes du désir aussi certainement que s'il actionnait de lourdes serrures.
Le plus curieux, en cette affaire, fut qu'ayant levé l'hypothèque amoureuse, il en vint à considérer Marion pour ce qu'elle était vraiment : une jeune femme des plus attachante. Et la voyant prise de passion pour un homme menacé de tous côtés, et lui aussi fort attendrissant par bien des aspects, il éprouvait à présent pour la baronne un sentiment quasi paternel.
Lui!
Il songea, amusé, qu'il vieillissait mais qu'au fond, ce n'était pas si grave... tant qu'il resterait des femmes gracieuses, de préférence dans la trentaine et si possible au physique généreux, pour succomber à son charme dont il jouait en virtuose.
Ayant bien réfléchi, il en vint à penser qu'il ne nuirait pas au duc en révélant sa lointaine ascendance atlante, ni ce qui suivit.
Pontecorvo ne fut pas surpris en constatant que si la jeune femme se montrait très impressionnée par le fait que Tancrède fût le dernier représentant d'une haute civilisation perdue et d'un continent englouti, c'est néanmoins Enguerrand de Bamberg qui lui paraissait le plus fascinant et estimable, quittant sa qualité de chevalier de l'ordre du Temple par amour pour une belle princesse.
Cependant, la jeune femme se crispa en apprenant de la bouche du marquis que le général se trouvait assiégé avec une poignée d'hommes en une petite ville des Flandres. Chaque jour, de plus en plus anxieuse, elle ne manquait pas de demander des nouvelles à Pontecorvo lequel, en sa qualité de général des Jésuites, se trouvait
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