Le Conseil des Troubles
toujours remarquablement informé, et dès avant tout le monde.
Bientôt, d'autres questions vinrent sur les lèvres de la jeune femme : que décide le roi, et que fait l'armée? Ici, Pontecorvo se trouvait très embarrassé. Bien entendu, il n'avait pas manqué de se poser ces questions, et depuis longtemps déjà. Il ne lui semblait pas possible qu'on n'ait point prévenu le roi de la position délicate, pour ne pas dire intenable, où se trouvait le jeune général qu'il admirait tant. Informé sans aucun doute de la flamboyante retraite de l'aile gauche de l'armée Villeroi, n'ignorant évidemment pas que cette manoeuvre extrêmement brillante devait tout au talent de Bamberg, Louis le Quatorzième n'avait pas pu en rester là, demandant fatalement des nouvelles du duc.
En cette occurrence, et ce fut une des rares fois de sa longue existence, le marquis fit preuve de naïveté faute d'être mieux informé sur Villeroi. Ce dernier, fort de l'amitié du monarque — ils avaient été élevés ensemble -, connaissant la grande indulgence de celui-ci à son endroit, et qu'il pouvait donc à peu près tout se permettre, le futur maréchal, donc, volant les lauriers d'un homme qu'il condamnait à mort par son inaction, s'était tout simplement attribué le mérite de l'opération imaginée et réalisée par Bamberg.
Certains officiers supérieurs, écoeurés par tant de fausseté, avaient écrit au roi. Habilement, ils n'accusaient pas Villeroi de vol mais louaient le talent de Bamberg. Ainsi, avec une fausse candeur, rétablissaient-ils la vérité. Hélas, en haut lieu, les créatures mises en place au temps de Louvois bloquaient ce courrier, de peur qu'il ne déplaise au roi.
Vint enfin le jour où la baronne, à laquelle l'inaction générale devenait insupportable, décida d'agir.
Une fois encore, il faisait un temps détestable et derrière la vitre de la voiture de Pontecorvo, Marion observait les rues de Paris prises sous une averse de neige que le vent plaquait avec violence au visage des très rares passants.
Le vin et l'encre gelaient en les bouteilles et même, disait-on, les alcools forts. Les Parisiens demeuraient blottis en leurs logis et au théâtre, c'est à peine si on avait vendu le tiers des places.
Tassée sur son coin de banquette, Marion tentait d'imaginer, à travers ce que lui en avait dit le marquis, la situation de Tancrède. Elle se représentait la retraite dans la petite ville, les corps à corps, les redoutables dragons reculant rue par rue, sans aucun désordre et comme à la manoeuvre. Et le repli sur la grande ferme fortifiée à la hâte, mais avec soin : elle se souvenait que les dragons étaient les seules troupes de cavalerie au monde qui portassent des outils accrochés à leur selle. Briseurs de forteresses, spécialistes des sièges, casseurs de barrages, ils étaient des troupes d'assaut mais n'ignoraient rien non plus, pour en avoir jugé de l'extérieur, de la défense d'une place forte. Il n'empêche, comme ils devaient souffrir !
Pontecorvo, qui avait un temps ménagé la jeune femme, la respectait suffisamment, et son intelligence, pour ne pas lui cacher la vérité. Aussi connaissait-elle la grande précarité de la troupe d'élite. Ainsi de la probable pénurie de nourritures, des malades et des blessés, des morts enterrés là où l'on vivait, et bien sûr du soin de l'artillerie des coalisés de détruire en tout premier les toitures afin que les assiégés ne puissent se protéger de la pluie et de la neige.
Elle imagina Tancrède roulé dans sa cape rouge salie et trouée, le pauvre Scrub blotti en ses bras, s'il n'était déjà mort, les tirs de nuit, les lueurs des coups de départ et, entre chaque tir, les plaintes des blessés et des mourants.
Comme s'il suivait sa pensée, Pontecorvo expliqua :
— Je crois savoir, par un caporal des gardes-françaises qui après son évasion a rejoint l'armée royale, quel système a employé le duc de Bamberg, et je le crois invulnérable.
Sortant de sa rêverie, Marion demanda aussitôt :
— Et quel est-il ?
— Non seulement ils ont dû renforcer tous les murs mais aussi creuser de profondes tranchées, ce qui offre double protection. Pour être tué, il faut un tir au but, direct, or, ainsi qu'ils se terrent, ce tir exige une trajectoire courbe qui est chose impossible sauf si l'ennemi avait l'intelligence de reculer suffisamment ses pièces pour n'envoyer que des boulets en fin de course.
La voyant
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