Le Conseil des Troubles
selon l'importance, pourrait aller des galères à la pendaison. Signé « Louis », de la main du roi.
Pontecorvo, songeur, roula le document, le rendit à Marion et questionna avec gravité :
— Puis-je savoir comment un tel document, qui n'a pas de prix, se trouve entre vos mains ?
La jeune femme replaça le document dans la soupière, s'assit en face du marquis et demanda à son tour :
— Encore un peu de lait chaud, peut-être ?
— ... Non, merci. Mais de grâce, expliquez-moi.
Elle haussa les épaules :
— On porta ces laissez-passer à Tancrède, car ils étaient deux, tandis qu'il venait me chercher pour m'emmener à Versailles. Il partait quelques heures plus tard pour les Flandres, et les a oubliés. J'ajoute que c'est lui qui brisa les sceaux.
— Où est le second?
— Dès le matin, je le lui fis porter par un homme de son escadron demeuré en arrière pour nettoyer les écuries.
— Et gardiez celui-ci ?
— Précisément.
— Donc, il sait que vous en avez conservé un par-devers vous?
— Je le suppose.
— Et il n'a ni protesté, ni réclamé ?
— Rien de tout cela.
Pontecorvo réfléchit un instant, puis :
— Vous laissant l'usage de ce laissez-passer, il espérait certainement que venant à bout de toutes les difficultés, vous le viendriez rejoindre en Flandres.
— Votre pensée fut aussi mienne.
— Mais il n'avait pas prévu qu'à faire le chien de berger pour dégager l'aile gauche de l'armée de Villeroi, il payerait son dévouement en se trouvant lui-même irrémédiablement encerclé.
— Je le crains.
Pontecorvo soupira :
— Et que comptez-vous faire ?
— Le rejoindre.
— C'est pure folie !
— Eh bien me voilà folasse, et n'en parlons plus.
— Vous savez que je vous fais surveiller, ici même?
— Et je sais que c'est pour me protéger. Je vous en remercie. Et ne blâmez point vos hommes : ils sont très discrets mais j'ai fini par m'apercevoir de leur présence.
Si l'un des hommes appartenait à Pontecorvo, l'autre relevait de Mortefontaine mais le marquis ne jugea point nécessaire de le préciser.
Il haussa les épaules :
— Vous pensez que votre habitude des pistolets vous sauvera ?
— Vous savez que je suis très adroite.
— De fait. En moins de deux mois, en y consacrant deux heures par jour ainsi que vous le faites, la chose demeure étonnante. Et pourquoi le pistolet ?
— Le sabre et l'épée réclament en le poignet une force que je n'ai pas, et ne posséderai jamais.
Pontecorvo recula légèrement sur le dossier de sa chaise :
— Soit, vous êtes très bonne tireuse. Et vous possédez un laissez-passer de la main du roi. Pensez-vous que cela suffira ?
— Il le faudra.
Il se leva brusquement, s'approcha de la cheminée, tendit les mains vers le feu puis, se retournant brusquement :
— Folle, je crois que vous l'êtes. Les Flandres sont bien loin. Chaque jour, il pleut, il gèle, il neige, il grêle et le vent est fort mauvais. La famine est déclarée et des paysans attaquent les voyageurs isolés pour les voler et les tuer, n'hésitant pas à violer les dames. Vos pistolets sont dérisoires. Vos laissez-passer ? Mais ces gens-là ne savent pas lire et ils s'en torcheront le cul.
— Cela prouve au moins qu'ils sont propres ! remarqua Marion en souriant.
Bien qu'il luttât contre, le marquis de Pontecorvo ne se put retenir de sourire aussi.
Un peu calmé, il revint s'asseoir et reprit d'une voix plus douce :
— Quand bien même surmontant ces difficultés, ce qui est chose impossible, vous arriveriez en Flandres, comment pouvez-vous un seul instant imaginer traverser les lignes des coalisés?
— Mais parce que vous m'y aiderez !
Pontecorvo demeura un instant sans voix puis, réellement curieux :
— Et pourquoi le ferais-je?
Elle sembla à son tour stupéfaite :
— Mais... parce que vous êtes un homme bon, un gentilhomme, que vous m'avez prise en sympathie, ce dont je vous porte grande reconnaissance, et que vous aimez Tancrède aussi.
Pontecorvo demeura bouche bée. Une gène effroyable, une honte épouvantable se saisissait de lui. Non, non et non, il n'était pas tout cela que pensait cette... cette petite fille ! Oh ! il l'eût souhaité, en eût sans doute été très fier mais non, ce n'était point là l'orientation qu'il avait donnée à sa vie. Entrant tout jeune encore chez les jésuites, sa foi était profonde et sa sincérité absolue mais voilà, on avait désarmé en lui son innocence et l'ordre
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