Le Conseil des Troubles
l'avait dirigé vers des missions peu conciliables avec une vocation dans la tradition chrétienne. Il avait tué, menti, soudoyé, corrompu. Il croyait en la sainteté des papes qu'il servait puis sa foi s'était évanouie comme rosée au soleil. Aujourd'hui, il aimait les femmes dodues et les bons vins.
Vertige que tout cela! Désillusions d'une vie passée comme un rêve. Et cette pauvre petite baronne, ce petit oiseau comme tombé du nid, qui le voyait tel un homme de bien passant son temps à protéger un couple d'amoureux. Mais petite Marion, nul ne protège les amoureux et quand les gens interviennent en leurs affaires, souvent jaloux et aigris par une vie qui a trahi leurs espérances, c'est pour semer le doute, la calomnie, et consacrer la ruine des couples qui s'aiment.
Renonçant à tout cela qui venait de lui traverser l'esprit et d'éprouver lourdement son coeur, il regarda la jeune femme avec gravité :
— Je vais vous décevoir, Marion, en vous révélant la vérité.
— Et quelle est-elle ? demanda la baronne qui ne semblait point craindre la réponse.
— Je ne vous protège que parce que le duc de Bamberg vous aime.
— Comment le savez-vous ? demanda Marion vivement intéressée.
Il haussa les épaules :
— C'est une évidence. Mais mon devoir premier, ma mission est de protéger le duc non parce que je le tiens en bonne amitié mais parce qu'il est le seul à savoir où se trouve enfoui le trésor des Templiers. C'est un ordre du pape, car ces fabuleuses richesses appartiennent à l'Église.
Marion ne réfléchit pas même :
— Ah çà, marquis, un homme tel que vous, d'une aussi vive intelligence et qui fait la bête : c'est indigne de vous!
Interloqué, Pontecorvo questionna:
— Que voulez-vous dire ?
— Sans doute votre mission est-elle celle-là que vous venez de m'expliquer mais pourquoi donc vous défendez-vous de ce que je lis en vos yeux lorsque vous me regardez ou parlez de Tancrède ?
Il baissa la tête. Oui, il les aimait, à sa manière, mais l'avouer lui eût coûté davantage qu'il n'en pouvait donner.
Il reprit :
— Marion, le monde vrai, le monde hors vos rêves est autrement cruel. Soit, je tente de protéger le duc et un autre le tente aussi qui a nom Mortefontaine et appartient à la police secrète du roi mais en face, ceux qui veulent tuer le duc sont très puissants.
— Combien sont-ils ?
— Au moins quatre forces distinctes.
— Qui?
— Un comte prussien, Heinrich von Ploetzen, qui soupe à la table des rois et agit au service de ce Conseil des Troubles qui veut régner sur tous les peuples. Pour lui, le dernier Atlante n'a pas sa place sur terre et il dispose de vingt hommes, des tueurs, en permanence.
— Qui d'autre?
— Le comte de Lagès-Montry, que vous connaissez, et qui ne pardonnera jamais l'humiliation subie.
— Et encore?
— Un tueur agissant pour un financier, le baron de Tuboeuf, amant de la marquise d'Ey Ce tueur, nous n'en savons que le surnom, le Feu Follet, qu'il est insaisissable et le plus redoutable de tous car il n'a jamais échoué en ses monstrueuses missions.
Marion s'efforçait par des questions courtes de dissimuler sa peur :
— Vous parliez de quatre?
— La quatrième est la guerre, fille aînée de la mort, que le duc défie depuis bien trop longtemps.
Le silence se prolongea quelques instants, lourd et angoissant puis, se levant brusquement en claquant des mains, la baronne dit d'une voix joyeuse :
— Avec votre aide, marquis, nous viendrons bien à bout de toutes ces méchantes gens !
Pontecorvo leva les yeux au ciel, un peu consterné, tant cette innocence le désespérait et, tel que s'il parlait à un auditoire d'anges :
— Mon Dieu, n'abandonnez point votre brebis... sous les tirs croisés de tous ces assassins!
Il n'empêche, c'était bien la première fois depuis vingt-cinq ans que le général des Jésuites implorait Dieu de lui venir en aide.
48.
L'heure était angoissante, étant celle où le chien cède la place au loup.
Le soir tombait vite sur un paysage glacé et les branches dénudées des arbres paraissaient très noires en se découpant sur les dernières lueurs argentées de la chute du jour.
L'officier espagnol, bel homme de trente-cinq ans et lieutenant-colonel de cavalerie, n'était autre que celui qui, chaque soir, venait prier le général français de dragons de bien vouloir se rendre avec tous les honneurs de la guerre.
Il marchait depuis une demi-heure et, atteignant
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