Le Conseil des Troubles
aisselles. Encore fallait-il, pour survivre, maintenir la tête hors de l'eau, résister au froid et tenter d'éviter les épaves emportées par le très fort courant.
Après ce départ, et sur un signe du général, ce fut au tour des officiers et dragons des Opérations Spéciales de pénétrer en l'eau sombre, certains tenant la main aux gardes-françaises moins expérimentés. Beaucoup de dragons tentaient de nager d'une main tandis que de l'autre, ils maintenaient haut levés mousquetons et pistolets afin de ne point mouiller la poudre.
Malgré les prières réitérées de Bamberg, Marion n'avait point voulu partir sans lui qui demeurait le dernier sur la berge. Il avait prêté Hautain, son magnifique cheval, à un groupe de blessés auxquels il confia Scrub mais refusa de monter en selle avec Marion car l'animal qui l'avait amené, pour solide qu'il paraisse, se tenait l'encolure basse, fourbu et peu désireux d'un nouveau bain en cette rivière glacée des Flandres. Bientôt, le courant les emporta.
Bamberg nageait à côté du cheval de la jeune femme, prêt à la secourir à tout instant. Ils allaient très vite. En certains endroits formant de petites anses, l'eau avait gelé sur quelques mètres.
À proximité de la berge, Bamberg vit flotter le cadavre d'un soldat des gardes-françaises qui avait voulu tenter sa chance à la nage afin de ne pas alourdir la rude tâche des chevaux et sauver ainsi ses camarades.
Triste, il détourna le regard et croisa celui, très tendre, de Marion. Pour la rassurer, il lui adressa un clin d'oeil. Il nageait toujours à ses côtés alors qu'elle se tenait penchée sur l'encolure de son vaillant cheval lequel, victime de la poussée du courant ou d'un remous, disparaissait parfois sous l'eau tandis qu'elle se trouvait mouillée jusqu'au cou.
Bamberg avait perdu son chapeau noir galonné d'or. Souventes fois, il se tournait vers elle, s'assurant que tout allait bien et il semblait si peiné de la voir en cette situation, qu'attendrie, elle l'imagina hurlant pour surmonter le bruit : « Je suis terriblement désolé, madame ! »
Mais ces brefs échanges de regards en l'eau glacée, au milieu de blocs de glace et d'épaves, révélaient surtout une complicité si forte, et tant d'amour, qu'à peu près au même instant l'un et l'autre acquirent la certitude que seule la mort pourrait les séparer.
En regardant le duc, son visage maigre et tourmenté qu'elle aimait tant, la jeune femme songeait aux paroles de Pontecorvo, à la pierre noire et au fait qu'en le vaste monde, il était le seul descendant du peuple de l'Atlantide. Mais coulait aussi en ses veines le sang de princesses phéniciennes et égyptiennes, de jolies et nobles dames de Crète, Grèce, Rome, Arabie, Afrique, Espagne... Un vertige et cette idée, peut-être, que si les races peuvent s'unir en l'amour, pourquoi ne le pourraient-elles pas en l'amitié et la paix ?
Soudain, elle vit Bamberg se retourner à deux ou trois reprises, les yeux agrandis. Puis, de ses bras puissants, il l'arracha à sa selle.
Aux derniers instants, elle vit un énorme tronc de chêne qui arrivait sur eux à grande vitesse. Elle entendit l'horrible bruit d'os brisés lorsque le tronc heurta l'arrière du cheval, l'eau tumultueuse et bouillonnante.
Puis plus rien.
50.
Il gênait, encombrait le passage, allait et venait parmi les généraux sans le moindre égard, les bousculant à l'occasion mais nul n'osait protester ni adresser une parole de reproche au protégé de tant de monarques. Von Ploetzen était nerveux et son impatience grandissait de minute en minute car il lui semblait que l'attaque piétinait.
Enfin, il se planta devant le général en chef autrichien et le toisa. Sa voix traduisait colère, haine, mépris ainsi qu'une folle envie de victoire et de revanche :
— Qu'est-ce donc que vos soldats incapables qui se laissent arrêter par quelques boulets ?
Ignorant quel titre donner à celui dont il ignorait les fonctions exactes, le général autrichien n'en parla pas moins avec une certaine froideur et regarda à dessein au-delà de Von Ploetzen. Quant aux titres, il opta a minima :
— Comte, l'avance est très difficile. J'ignore comment les Français procèdent mais ce tir de nuit est effarant de précision. En outre, les dragons assiégés ont semé le terrain de chausse-trapes, sauts-de-loup et pièges aussi variés que mortels, car ils excellent en cette science. Cependant, car j'imagine que c'est la
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