Le Conseil des Troubles
frères.
Il lui ouvrit les bras.
Ils s'embrassèrent puis le comte de Lagès-Montry, submergé par l'émotion, pleura sur l'épaule de son nouvel ami.
Un instant, les dizaines de milliers de soldats français demeurèrent silencieux puis l'un d'eux, âgé, une cape sur les épaules - et qui aurait reconnu le roi? -, applaudit ce geste fraternel dont, mieux que beaucoup, il connaissait la valeur, n'ignorant rien des enjeux passés.
Ce fut alors un déchaînement, une véritable houle portée par toute l'armée tant le spectacle était rare de voir deux généraux, et des plus prestigieux, tomber en les bras l'un de l'autre tels des cadets.
Lagès-Montry, découvrant Marion, s'approcha le rouge au front:
— Ah, madame, combien je suis accablé de ma conduite passée !
— Eh bien, parce que vous me trouviez jolie?
— Madame, je...
Elle ne lui laissa pas le temps de poursuivre:
— Une femme est toujours flattée d'apprendre qu'on la trouve jolie et je ne vois rien là qui puisse me fâcher. En voulez-vous la preuve ?
— Oui... répondit-il, incertain.
Alors, ravissante en sa tenue de fantassin du régiment de Meaux, elle lui déposa un rapide baiser sur la joue.
Brusquement, le sourire de Bamberg se figea.
On le remarqua dans les premiers rangs puis dans les suivants, et bientôt le silence se fit, tous se demandant quel événement pouvait ainsi altérer les traits du général et lui donner cette terrible physionomie de loup aux guets. Tous, et parmi ceux-là le roi mais aussi le baron de Mortefontaine et le marquis de Pontecorvo qui venait d'arriver.
*
Augustin de Nestoc, jusqu'ici très satisfait du cours des événements, fut gêné par ce brusque silence dont il ignorait la cause. Quelques instants plus tôt, en la liesse générale, il se fût trouvé bien plus à l'aise.
Mais, méprisant la foule par principe, ses motivations ne l'intéressaient guère. En effet avant d'autres, aussi détestables que lui, il professait que la foule, comme l'opinion, est « une énorme femelle » facile à dompter pour « l'élément mâle ».
Il se tenait à l'arrière d'un chariot aux bâches entrouvertes d'où dépassait à peine le canon de son curieux fusil.
Eh bien voilà, l'instant suprême se présentait enfin avec le front de Bamberg en prolongement du canon de son arme redoutable.
Mais brusquement, il eut l'impression stupéfiante que Bamberg le regardait. Chose évidemment impossible parmi les milliers de visages et le désordre de tentes et de chariots mais il n'empêche, il en fut troublé.
Cependant, le Feu Follet était trop bon tireur pour se laisser troubler et ce singulier incident n'affecta en rien ses qualités professionnelles.
*
Bamberg s'écarta vivement et poussa l'homme qui se trouvait derrière lui, un major. Celui-ci faillit tomber et se rattrapa à un tronc d'arbre. Puis, sous ses yeux agrandis de terreur, et sous ceux de milliers de spectateurs, sa main droite fut emportée en un terrible éclatement.
Mais déjà Bamberg pointait un de ses pistolets vers les bâches d'un chariot.
***
Le Feu Follet demeura interdit : pour la première fois depuis plus de dix ans, il venait de rater un tir.
Mais cette stupéfaction fut balayée par une certitude plus incroyable encore : Bamberg le visait très calmement.
***
Le général-duc de Bamberg fit feu et un homme dégringola de l'arrière d'un fourgon.
Un sous-officier des gendarmes de Monsieur, après un regard à l'homme qui agonisait, ramassa l'étrange fusil et, assez surpris, lança dans le silence :
— Son arme est encore chaude!
Déjà, précédés de policiers brutaux, Mortefontaine et Pontecorvo se précipitaient vers le mourant tandis que le roi, très contrarié qu'on ait voulu tuer Bamberg, se retira dans sa tente.
***
Le comte de Puissessay, officier d'une rare élégance et de grande classe, attendit quelques instants que l'agitation retombe puis signifia à Bamberg que le roi le désirait voir « immédiatement, ainsi qu'il se trouvait, même l'uniforme douteux ».
Bamberg le regarda d'un air narquois:
— «Douteux»?.. Sa Majesté, sur ce chapitre, ne sera point déçue.
L'autre répondit d'un sourire crispé, se demandant tout de même, gravement, «comment un tel héros peut-il être à ce point sale et loqueteux, vêtu de guenilles militaires dont ne voudrait pas même le dernier des mendiants ».
***
Les soldats achevèrent de creuser la fosse à quelque distance du camp sous le regard de
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