Le Conseil des Troubles
poussière, l'uniforme en loques, il avait résisté à un interminable siège, brisé un formidable encerclement et ramené presque tous ses hommes en les lignes royales. Tous les souverains d'Europe allaient le jalouser de posséder pareil soldat.
Le roi, souriant, proposa:
— Qu'aimeriez-vous, là, Bamberg, en cet instant?
— Voir mes soldats, Sire, et emmener la baronne qui m'attend dehors.
— Quoi, elle est là? Vous eûtes dû la faire entrer. Au fait, je sais tout du rôle de certains dans les exploits de la baronne... Ah, Pontecorvo, ce vieux bandit qui est l'espion du pape et que j'aurais dû faire pendre dix fois! Tenez, allons de ce pas voir vos soldats que j'ai fait mettre à l'écart.
***
En chemin, le roi, la baronne et Bamberg parlèrent du siège puis de la tentative de meurtre du Feu Follet.
Tandis qu'il commençait à pleuvoir, la voiture passa sans ralentir à travers un village en ruine. Plus aucune fumée ne montait des cheminées et, en ces maisons sans toit, seuls demeuraient encore hiboux, chauves-souris et araignées.
Quelques gendarmes ouvraient la route, des mousquetaires suivaient la seconde voiture abritant des généraux et des officiers supérieurs ainsi que Scrub que Bamberg n'osait imposer au roi.
On arriva alors à un autre village, en bon état, celui-là, puisque la guerre l'avait évité.
On s'y arrêta. Scrub courut aussitôt rejoindre son maître ce que voyant, le roi s'esclaffa en ouvrant les bras:
— Ah, ce fameux chien qui a fait le siège lui aussi. Approche, mon brave!
Bamberg ressentit la peur de sa vie. Par son geste, le roi, inconscient, appelait Scrub à sombrer en son déplorable penchant et de fait, l'animal regardait déjà avec gourmandise le royal entrejambe lorsque Bamberg, passant fugitivement les mains sur son bas-ventre, gronda:
— Scrub, ne pense surtout pas à cela!
Le roi, lui, insista :
— Dieu qu'il est maigre! Approche, bon chien!
Tremblotant, le dos rond, roulant des yeux effarés, Scrub, qui avait bien compris l'avertissement de son maître et songeait à maîtriser son instinct, approcha avec méfiance et flaira la royale main. Elle sentait le poulet, il la lécha aussitôt, d'où la méprise du monarque :
— Ah la bonne bête qui lèche la main de son souverain !
Un officier des gendarmes du roi, parti en reconnaissance, désigna alors un vaste bâtiment aux allures de couvent:
— Ils sont ici, Majesté.
Le roi, heureux à l'idée de rencontrer tous ses braves, demanda à Marion et Bamberg de marcher à ses côtés.
Cependant, dès l'entrée dans le bâtiment, un certain malaise gagna les nouveaux venus et leur escorte. Certes, les officiers qu'on rencontrait se confondaient en courbettes et compliments mais tous semblaient très surpris que le roi de France s'en vînt lui aussi, en pleine nuit, rencontrer des soldats et quelques officiers subalternes. L'un d'eux, plus naïf, osa même:
— Les rencontrer? Mais pour quoi faire?
Sous le regard soudain glacé du roi, il s'enfuit littéralement.
Bientôt, il ne fut plus possible de différer car le roi n'attend pas et, tandis que des rires de femmes parvenaient du premier étage de l'ancien couvent, on se dirigea vers la vaste cour qu'éclairaient quelques torches. D'autres, et des lanternes, furent apportées en hâte par des laquais et des soldats de service et ce qu'on vit alors tira des larmes au roi, de grosses larmes qui roulèrent sur ses joues en une scène qu'on n'avait encore jamais vue. Marion éclata en sanglots, des officiers supérieurs s'essuyèrent les yeux et Bamberg, entre chagrin et colère, serra les poings.
Ils étaient quatre-vingts à quatre-vingt-dix, officiers et soldats des Opérations Spéciales, renforcés de quelques rares survivants des gardes-françaises qui avaient partagé les horreurs du siège. Ils se tenaient assis par terre, tassés, sous la pluie, eux qui déjà furent trempés au passage de la rivière et exposés à présent à un vent glacial.
Voyant le roi, Bamberg et la jeune femme qui avaient traversé deux fois la rivière, tentèrent de se lever mais leurs muscles, à ce régime, avaient durci comme du bois et ils durent s'aider de leurs mousquetons ou prendre appui sur la garde des sabres fichés en terre pour se redresser avec peine.
Certains se tenaient les uns aux autres pour ne point tomber, tant ils titubaient. Ils étaient voûtés, courbés, le dos rond, tête basse. Les uniformes en lambeaux, les brassards jaunes
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