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Le Conseil des Troubles

Le Conseil des Troubles

Titel: Le Conseil des Troubles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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des Opérations Spéciales à présent de couleur brune, ils dégageaient une impression de naufrage.
    D'un peu loin, on eût dit un troupeau de vieillards, une unité de vétérans rameutés par un pays aux abois. Des vieillards et, songea le roi, leur moyenne d'âge était de vingt-huit ans!
    Le souverain s'approcha d'un des soldats qui se trouvait le torse nu, ayant jeté sa vareuse glacée. Il regarda les yeux bleu délavé, le visage terriblement maigre et les glaçons qui se formaient sur les belles moustaches blondes : il lui offrit sa cape.
    Mais chez les monarques, les larmes durent peu et bien vite, c'est la colère qui prit le dessus :
    — Qui commande, ici? Qu'on aille chercher cet incapable!
    Puis, après un regard au misérable troupeau d'hommes brisés qu'il avait vus si magnifiques par le passé, qui venaient d'accomplir un des plus hauts faits militaires de son règne et que l'on traitait avec une si cruelle désinvolture, il tapa dans les mains et ordonna :
    — De la soupe, du vin chaud et sucré, immédiatement!
    Hélant un capitaine:
    — Vous! De la paille fraîche et épaisse ainsi que des peaux de bêtes en les bâtiments! Et faites des feux, dedans, partout ! Qu'on brûle le village, qu'on brûle le monde si cela doit réchauffer mes soldats !
    À un autre officier:
    — Vous ! Qu'on aille au camp royal : un poulet rôti et deux bouteilles de vin cachetées par homme, de la viande bouillie, du pain blanc, des confitures et tout cela que vous trouverez qui relève au moins d'une table de général !
    À un autre encore :
    — Vous, des vêtements secs!
    Les ordres fusaient, des messagers couraient en tous sens, on faisait entrer les malheureux rescapés à l'intérieur avec des égards bien nouveaux, et même les généraux de l'escorte royale, pris de pitié, aidaient les plus mal en point qui chancelaient.

    Worden et La Mothe-Sislées, qui avaient partagé le sort de leurs hommes, profitèrent de ce répit pour venir embrasser Bamberg aussi mouillé et l'uniforme aussi en lambeaux que le leur.
    — Le roi va rétablir les choses en bonne justice !
    — Il n'empêche, c'est un peu tard... J'épuise de plus en plus vite les plaisirs de cette vie-là! dit Hugo.
    On prit la mesure de ces paroles fort graves car en fait la lassitude était commune aux trois amis, et bien antérieure aux récents événements.
    Bamberg les prit tous deux par le cou :
    — Eh bien c'est qu'il est peut-être temps de songer à un autre genre de vie ?
    Le général commandant la place arriva comme il pouvait, traînant son gros ventre et achevant de se rhabiller.
    Louis XIV se retint de le gifler.
    — Votre nom?
    — Nicolas de Kerseuty de Charaze, Majesté.
    — Comment avez-vous osé traiter de si infâme manière les meilleurs de mes soldats? De cet instant, vous n'appartenez plus à l'armée royale. Qu'on ne vous voie jamais à Versailles ou à Paris. Retournez sur vos terres et ayez le bon goût d'y mourir le plus rapidement possible.
    Le gros homme, livide, salua et disparut sans même envisager de se justifier.
    Louis le Quatorzième, satisfait, suivit du regard les derniers dragons qui entraient dans le bâtiment avec leurs officiers en serre-file puis, se tournant vers Bamberg et Marion :
    — Vous êtes trempé et épuisé, ainsi que la baronne. J'ai prévu de remédier à cela.
    Il sourit et s'éloigna, laissant Marion et Bamberg perplexes.
    1 Dans la région de Boulogne-sur-Mer, au début des années 1660, des paysans s'étaient révoltés contre les collecteurs d'impôts au moment où à Paris une pièce à succès s'intitulait L'eusses-tu-cru ? Avec une amère ironie, les paysans détournèrent le titre: L'eusses-tu-cru que Louis XIV aurait la barbarie de massacrer des paysans ? ce qui leur valut à la Cour puis dans le peuple cette appellation de « Lustucru ».

57.
    Le carrosse à deux chevaux avançait dans la nuit soudain moins sombre. La pluie avait cessé, le vent chassait rapidement les nuages et on découvrait enfin un quartier de lune qui semblait s'ennuyer au milieu de quelques pâles étoiles.
    Malgré le froid qui pénétrait par toutes les fentes du carrosse, il se dégageait de tout cela un effet de douceur, peut-être parce que ces instants succédaient à l'horreur, la violence et la souffrance des derniers temps.
    Bamberg et Marion se tenaient côte à côte sur la banquette, Scrub couché à leurs pieds. Bien qu'il eût conservé son uniforme toujours mouillé depuis la traversée

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