Le Conseil des Troubles
l'escadron des Opérations Spéciales en la très jolie ville de Villers-Cotterêts...
Le roi reçut Bamberg un quart d'heure, quoi qu'il fût très occupé, mais il tenait à lui annoncer lui-même ce que voici : Worden était promu lieutenant-colonel et décoré de l'ordre de Saint-Louis. Même distinction pour La Mothe-Sislées, élevé au grade de major. Sereni était nommé capitaine et recevait lui aussi la décoration au ruban rouge. Pour les promotions plus subalternes, Louis le Quatorzième s'en remettait au général.
Bamberg et Marion se promenèrent ensuite dans le camp où mille bruits se confondaient : hennissements des chevaux, chocs des épées des mousquetaires s'exerçant, maréchal-ferrant enfonçant les clous d'un fer, roulement de tambour appelant à une corvée, forgeron battant le fer sur l'enclume, cris, appels, trompettes...
— Ainsi, c'est ta vie lorsque tu n'es pas au combat? demanda Marion.
— Oui, cantonnements et casernes. Triste vie, n'est-ce pas?
— Pourquoi dis-tu cela?
Il haussa demi les épaules :
— Je me suis posé des milliers de questions depuis ma naissance, les plus curieuses, les plus ridicules, les plus inutiles et jamais la seule qui eût quelque intérêt : comment ai-je pu accepter cette existence sans me cabrer au motif que les Bamberg sont soldats depuis toujours?
— Justement, c'est peut-être cela auquel on est le plus habitué qu'on ne pense pas à discuter.
Il l'observa et sourit, le regard amusé, ce qui émut la jeune femme tandis qu'il disait :
— Au printemps, chez moi, je t'embrasserai sous les cerisiers en fleur...
Puis, comme si cette joie n'avait rien à faire en ce lieu, il reprit d'une voix grave :
— Dix ans de cette vie-là et cette cicatrice que nous traînons tous, le Palatinat...
Il vit dans ses yeux qu'elle l'invitait à poursuivre :
— Si tu savais cette barbarie... Les ordres à l'armée royale étaient de mettre à sac le Palatinat. Des destructions partout où nous passerions, les forteresses rasées, les populations déplacées, les villes et les villages brûlés, les récoltes pillées ou incendiées, des meurtres, des viols. Nous avons posé des mines dans le château d'Heidelberg, détruit les palais, ouvert les tombeaux des rois médiévaux à Spire et dispersé les ossements car nos soldats y cherchaient des bijoux. Nous avons rasé Mannheim, M. de Louvois exigeant qu'il ne reste pas pierre sur pierre. On fit venir des ingénieurs et des officiers dont j'étais n'ignorant rien des mines. Il fallait couper les ponts, brûler les moulins, détruire les meules. La troupe avait ordre de voler le bétail et d'abattre ce qu'elle ne pouvait emporter. Incendier le fourrage, les graines, les récoltes. Spire, Worms et Kreuznach furent entièrement détruites. On n'en disait mot en le royaume mais toute l'Europe fut indignée, scandalisée, la France devenant le pays des barbares. Entre officiers, nous n'osions même plus nous regarder tant nous avions honte.
Il se tut. Elle lui prit la main, ne sachant que dire mais heureuse et fière que sa conscience s'insurge contre cela qu'on lui avait fait exécuter.
Leurs pas les ramenaient vers les tentes de Louis XIV On n'en finissait pas d'installer l'espace royal. Des voitures arrivaient sans cesse de Versailles et de Paris.
Sous le regard du couple, des laquais déchargeaient de la vaisselle d'or, de vermeil et d'argent qu'on portait sous la tente royale en satin des Indes avec un dais tandis que l'intérieur était tapissé des damas de Gènes cramoisi avec un magnifique galon de crépine d'or.
D'un autre chariot, on amenait miroirs, lustres et tableaux.
La nourriture abondait, on se bousculait pour amener liqueurs et vins français ou étrangers ainsi que de l'eau de source.
Des cuisiniers venaient chercher ce qui composerait le souper du soir : perdrix rouges, ortolans, faisans, chapons de Bruges, gélinottes des bois tandis que le poisson, par un autre convoi, arrivait directement de Dieppe.
À l'extérieur, à peine à quelques dizaines de mètres de la tente royale, un peintre ouvrait sa boîte de fer-blanc pour en sortir pinceaux et palettes. L'oeuvre était déjà bien avancée : sur un cheval blanc, sortant d'une ferme assiégée, Louis le Quatorzième et quelques dragons brisaient l'encerclement de plusieurs milliers de coalisés, ce qui arracha un sourire désabusé à Bamberg.
En une longue enfilade venaient encore les tentes des nobles près desquelles des
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