Le Conseil des Troubles
quatre fois encore mais prit bien garde de ne point satisfaire les soldats par ce genre de caresse trop hâtive. Pour obtenir plus - sa liberté! -, il fallait donner beaucoup aussi grimpa-t-elle sur le lit pour s'y installer en levrette.
C'était fort bien calculé, surtout de la part d'une femme de vingt-trois ans, et la marquise d'Ey savait parfaitement ce qu'elle faisait.
En effet, elle n'ignorait pas que l'Église condamnait avec la plus extrême fermeté cette position - « more canino » — qui évoquait celle des chiennes. Les épouses s'y refusaient, et bien des putains ayant de la religion, et c'est ainsi la rareté de la chose qui en faisait le prix et l'agrément.
Les cinq militaires se succédèrent à genoux derrière la ravissante marquise qu'ils tenaient aux hanches. Et si l'officier savait y faire — ce fut agréable —, les quatre soldats qui suivirent ne se distinguèrent point par la délicatesse de leurs assauts.
Lorsque tout fut fini, l'officier d'un certain âge sourit à la jeune femme :
— Ce fut délicieux, marquise, et nous vous en remercions espérant pour notre part vous avoir donné... comment dirais-je?... des munitions pour vos mois de prison sans hommes que vous paraissez tant redouter.
« Il est idiot ou il le fait exprès? » se demanda la marquise qui parvint à contrôler un affolement naissant :
— Monsieur, en vous offrant mon beau cul, c'est ma liberté que j'achetais.
L'officier semblait tomber des nues avec d'autant plus de réalisme qu'il était absolument sincère:
— Ah çà, madame, il n'en fut jamais question mais tout au contraire d'un échange de services et de plaisirs réciproques.
Elle se dressa sur le lit, mains aux hanches, furieuse:
— Quoi, imbécile, c'est par plaisir, crois-tu, que je me suis fait détruire le cul par toi et tes quatre brutes qui puent? Laisse-moi partir, espèce de sale maquereau!
Il fut déçu mais sut le dissimuler:
— Voilà une déclaration d'amour telle que je les adore!
— Maquereau, sale maquereau!
Il se tourna vers ses soldats:
— Assurez-vous de sa personne!
— Encore? demanda un caporal.
L'officier, un vieil esthète, ne put s'empêcher de sourire.
*
Von Ploetzen, en son hôtel particulier, écouta sans l'interrompre Hofflingen qui faisait son rapport.
Lorsque l'autre en eut achevé, le Grand Maître des Teutoniques déclara:
— C'est parfait, comme toujours. Cependant, j'aimerais avoir votre avis. Parlez sans crainte, Hofflingen.
Le manchot regarda un instant les toits de Paris puis n'hésita plus:
— Votre plan va réussir et cette fois, le général-duc de Bamberg ne risque pas de vous échapper car Votre Seigneurie n'a laissé aucune chance au hasard. C'est ce qui est le plus remarquable en cette entreprise. S'il fallait cependant soulever une critique...
L'homme au visage couvert d'un voile de gaze de soie noire prit un ton rassurant:
— Je vous l'ai dit, parlez sans crainte.
— Votre Seigneurie, c'est terriblement coûteux. C'est une véritable fortune que vous dépensez là!
Le Teutonique balaya l'objection d'un geste large :
— Cet aspect des choses n'a aucune importance. Les monarques se pressent pour notre financement. Nos envoyés chez les Turcs et l'empereur de Chine nous communiquent de bonnes nouvelles. Nous tenons enfin, après tant de siècles d'errements, la clef du monde. Et le monde, Hofflingen, le monde...
Il s'approcha d'une coupe, saisit une noix et la brisa de son énorme main gantée puis, d'un geste un peu théâtral, il laissa les débris tomber sur le sol en disant:
— Le monde est une coquille de noix et ne mérite pas davantage de considérations !
1 Bâillon de fer destiné à faire taire et étouffer les cris.
60.
Pris dans une tempête de neige, l'escadron des Opérations Spéciales s'étirait en une longue colonne qui peinait sur les routes des Flandres.
Les cavaliers, ne pouvant se parler en raison de la violence du vent, allaient sur une file entrecoupée de charrettes et d'un lourd chariot à quatre roues dont les bâches protégeaient le matériel militaire.
Dans les charrettes, bien peu de bagages personnels, tant les hommes de cette prestigieuse unité étaient pauvres, y compris leurs officiers.
Un vétéran, le sergent Cipriano, d'origine espagnole, ouvrait la marche immédiatement devant Bamberg et Marion de Neuville. Tous avançaient tête baissée.
Peu auparavant, on avait rencontré deux soldats du régiment de Picardie qui
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