Le Conseil des Troubles
montaient en ligne depuis un dépôt de l'arrière. La veille, ils avaient été pris sous un orage d'une rare violence. Ce n'est qu'à la lueur d'un éclair qu'ils découvrirent, alors qu'ils étaient encore trois, un village obscur. Fuyant les déluges de grêle et de pluie qui s'abattaient sur la région tandis que les rivières débordaient et que les routes disparaissaient sous les eaux, ils s'étaient réfugiés en la cave d'un presbytère où se trouvait déjà le curé tout tremblant car même ici, les murs renvoyaient l'écho sourd du tonnerre.
Puis quelque chose s'étant sans doute rompu, la cave fut engloutie en moins d'une minute, noyant le curé et leur camarade du Royal-Picardie.
Les deux hommes amenaient de très mauvaises nouvelles de France. La famine, accrue par le détestable temps de l'automne et de l'hiver, était presque générale et entraînait nombre d'épidémies. Les deux hommes juraient n'avoir jamais rien vu de semblable 1 .
Et cet état de chose entraînait des comportements qui frôlaient la folie. Ainsi, à Besançon, en raison des mauvaises récoltes, un prêtre avait excommunié... les vermisseaux 2 !
On disait qu'aux environs d'Arras, la population avait décapité à coups de faux trois hommes lesquels, en une auberge, faisaient rôtir un crucifix avec des maquereaux au motif que Dieu n'avait point empêché la faillite de leur affaire.
À Auxonne, une religieuse avait accusé son confesseur d'avoir contracté un pacte avec le diable et lors du procès, quoique grosse et grasse, elle se roula par terre avec agilité, tomba en convulsions, banda tout son corps avec les doigts des mains et des pieds recourbés vers le dehors mais aussi le dedans puis lâcha beaucoup de pets très violents et en chapelets, ce qui acheva de convaincre le tribunal lequel condamna le prêtre au bûcher. Au reste, on avait peu de chances de survivre à ce genre de procès car comme il est écrit dans Le Marteau des Sorcières, grand manuel de démonologie faisant autorité auprès des tribunaux : « Si l'accusé pleure, c'est qu'il est coupable mais s'il reste les yeux secs, c'est qu'il est aidé par le diable. » Un raisonnement qui impressionnait par sa rigueur et sa logique, comme on le voit.
Enfin, pour terminer, les deux soldats du Royal-Picardie signalèrent que « Moine-bourrue » 3 avait été bien plus méchant que les années précédentes. Puis, se signant, les deux hommes étaient repartis vers leur destin.
La colonne chemina encore pendant deux heures en un profond silence dès que le vent tomba. Ce qui dura peu. On entendait seulement, en ces instants, les paquets de neige dégringolant des branches.
Peu avant la nuit, on trouva un village et le général se demandait quel accueil on leur réserverait car en période de famine, le soldat n'est point populaire. Ici, pourtant, tout fut contraire à ce que l'on craignait car la veille le village avait été attaqué par une meute de loups et l'un, qu'on avait tué, pesait 130 livres. Dans ces conditions, la centaine de dragons fut la bienvenue.
Bien entendu, on ne put parquer les chevaux dans les étables et écuries, réservées aux soldats, si bien qu'avec des cordes, il fallut installer un enclos à l'intérieur du village et désigner des équipes de cinq dragons qui se relayaient pour une garde sévère.
Bamberg et Marion choisirent de passer la nuit en une maison modeste mais dont l'étable était d'une grande propreté.
Ils logeaient chez un couple de paysans, jeunes encore mais comptant déjà cinq enfants en cette étroite chaumière au sol de terre battue. Comme il l'avait recommandé à ses hommes répartis en les autres maisons du village, il fut décidé que ce seraient les dragons qui fourniraient la nourriture pour remercier de l'hébergement et cette initiative rompait avec l'image des militaires se restaurant, d'habitude, aux dépens des villageois. Au reste, une des charrettes regorgeait de nourritures fournies par les dépôts de l'armée juste avant le départ.
On était assez pauvre, en ce village, vivant de l'orge, qui sert à fabriquer la bière, de l'avoine qui nourrit les chevaux et du millet avec lequel on cuisine les galettes. En culture d'hiver, qu'on sème à l'automne, figurait le froment mais la récolte s'avérait une catastrophe. Par chance, du fait d'un héritage, la petite famille possédait une vache.
Le repas s'organisa donc autour d'une pièce de viande qui fut préparée à l'étouffée mais
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