Le Conseil des Troubles
gelées et pâtes de fruits allant de la violette au cotignac de coing fabriqué - là mieux qu'ailleurs - à Orléans.
Vint enfin l'instant où l'on sortit les pipes tandis qu'on servait des alcools parfois assez forts comme ceux de la région de Cognac, curieux comme la « fenouillette » de l'île de Ré ou étranges, tel cet autre de Provence où l'on reconnaissait le muscat distillé avec du citron et de la fleur d'oranger.
Peu après, ayant regardé gravement, l'un après l'autre, les deux policiers d'élite, Bamberg annonça :
— J'ai pour vous deux nouvelles mais je ne souhaite pas, pour l'instant, qu'elles s'ébruitent. La première est que la baronne et moi allons nous marier, le plus discrètement possible, car nous détestons les gens de Cour en particulier et la foule en général.
Pontecorvo et Mortefontaine manifestèrent aussitôt leur joie avec retenue, certes, car ainsi était en toutes circonstances leur caractère, mais avec sincérité. S'ils estimaient grandement le général, Marion les ravissait. Elle paraissait la femme idéale dont on rêve mais rencontre rarement. Au fond, ils se méritaient l'un l'autre et les voir s'unir était comme une manifestation de la justice et de l'intelligence.
Après les félicitations et la demande, aussitôt acceptée, d'assister au mariage dans la petite église de Montigny, Pontecorvo, qui n'y pouvait plus tenir, demanda :
— Et la seconde nouvelle ?
— Je vais quitter l'armée.
Un court silence suivit ces paroles, la stupéfaction les paralysant.
Puis, d'une voix hésitante, chose rare chez le marquis de Pontecorvo :
— Votre décision est irrévocable ?
Bamberg adressa un sourire à Marion soudain inquiète :
— Elle est définitive.
Pontecorvo hocha la tête, l'air compréhensif, puis :
— Puis-je en connaître la raison?
— Je suis fatigué de tout cela, marquis. Ces guerres durent depuis si longtemps, et je sais qu'il en viendra d'autres car c'est dans la nature du roi d'exister en s'affirmant par les armes. Je pense que je vais le décevoir grandement.
Mortefontaine, jusqu'ici silencieux et attentif, intervint :
— Rien n'est moins certain.
Tous les visages se tournèrent vers lui mais il n'en sembla pas ému, poursuivant :
— Le roi est lui aussi las des guerres. Non point de les déclarer mais d'y assister. Déjà, sitôt brisé l'encerclement après votre long siège, son enthousiasme retomba vite. Il se lasse après quelques heures et est usé par les plaintes et les pleurs de Madame de Maintenon qui ne souffre plus les séparations. Considérez enfin que le roi vieillit et que les fatigues de la guerre pèsent de plus en plus sur un corps qui n'a jamais été ménagé. En Flandres, sitôt arrivé, il ne parlait et ne rêvait que de Versailles. Il continuera les guerres avec une obstination d'insecte mais n'y participera plus. Aussi, vous qui tant le passionnez n'étant plus là, vous lui fournissez un prétexte supplémentaire.
Le général des jésuites se tourna vers le général des dragons :
— Moi qui voici peu vous voyais déjà mort, je pense que vous sortirez peut-être vivant de toute cette affaire.
— Pourquoi aurais-je dû mourir? demanda Bamberg, curieux.
— Mais... Tout était contre vous et les dangers s'éloignent les uns après les autres. Ainsi de ce tueur, le Feu Follet, à présent mort. Ainsi du comte de Lagès-Montry qui rêvait de vous tuer et devient de vos amis. Ainsi la guerre, qu'on ne fréquente point longuement sans y succomber. Il ne demeure que Von Ploetzen acharné à vous perdre, lui et ses teutoniques.
— Il reçoit des renforts de Prusse dès que nécessaire car les morts sont très vite remplacés. Ils sont en ce moment vingt-cinq!... précisa Mortefontaine.
— Vous paraissez contrarié... Existe-t-il quelque chose que nous ignorons? demanda Pontecorvo.
Bamberg hocha la tête :
— Sans doute suis-je en une inquiétude injustifiée mais Worden et La Mothe-Sislées sont venus souper à Auteuil mercredi soir. Nous sommes vendredi soir et je n'ai aucunes nouvelles. Pas davantage à la caserne des gardes-françaises. Ils ont disparu sans un mot. Jamais, jamais une telle chose n'est arrivée.
— Vous avaient-ils dit quelque chose ?
— Qu'ils avaient rencontré deux soeurs fort jolies. Aucun succès amoureux ne les empêcha jamais de reprendre leur service le lendemain matin.
Bamberg craignait des sourires, il vit des visages inquiets.
— Savez-vous le nom de ces soeurs?
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