Le Conseil des Troubles
chevaliers d'Occident.
Enguerrand de Bamberg, déserteur, avait réussi à faire embarquer celle qu'il aimait en direction de Chypre. C'est là, sur le port, qu'il fut arrêté par les hommes du maréchal du Temple Pierre de Sevry et amené devant le Grand Maître Guillaume de Beaujeu. Tandis que la ville brûlait, que les combattants des deux camps tombaient par milliers, Bamberg et Beaujeu discutèrent pendant quatre heures dans une pièce aux issues gardées par des chevaliers dont les langues avaient été coupées et les tympans crevés par les mamelouks.
C'était le combat final. À Acre, 800 chevaliers, 14 000 templiers à pieds et quelques centaines de teutoniques et Hospitaliers faisaient face à une armée que certains estimèrent à 100 000 hommes.
Sous protection d'un peloton composé de l'élite des chevaliers du Temple, Bamberg embarqua sur le dernier bateau qui parvînt à quitter le port déjà pilonné. Dix minutes plus tard, celui-ci tombait ainsi que la muraille extérieure, les fossés et les fortifications vers la mer.
Le 18 mai, c'est l'assaut général. L'une après l'autre, la tour du Roi puis la tour Maudite sont prises après des combats désespérés, si coûteux en vies humaines que les Mamelouks envisagèrent même d'abandonner le combat.
Les derniers défenseurs et les civils s'enferment alors dans la grande tour du Temple, réputée imprenable. Ils tiennent dix jours contre des assauts furieux puis la tour s'effondre, la salle des poudres étant piégée par les templiers qui ne veulent pas voir les femmes et les enfants violés par l'ennemi. Les derniers Français et leurs alliés de Prusse disparaissent mais l'explosion entraîne 2000 Mamelouks dans la mort.
Guillaume de Beaujeu, Grand Maître, Pierre de Sevry, maréchal du Temple, et Mathieu de Clermond, maréchal des Hospitaliers, sont tués. Les Teutoniques préfèrent se taire, ce qui augure d'un désastre. Les hiérarchies des trois ordres croisés sont anéanties.
— Nous savons tous cela qui marque le déclin des Templiers... lança Bamberg d'une voix neutre.
Pomarès répliqua plus vivement :
— On sait moins de choses sur Enguerrand de Bamberg, déserteur de l'ordre du Temple.
Tancrède supportait mal qu'on le mît ainsi en cause. Mais c'est son cousin Hugo des Forts, comte de Worden, qui se dressa, livide.
« Cousin » est un mot bien faible pour définir les liens qui depuis des siècles unissaient les deux familles. Au reste, un ancêtre érudit d'Hugo avait écrit que ces noms, Bamberg et Worden, venaient des terres germaniques et de Franconie annexées par Clovis en 496. S'enrichissant respectivement des fiefs de Marigny et des Forts, les deux familles, par privilège royal, avaient obtenu d'inverser leurs titres. Ainsi, la tradition eût exigé qu'on nommât Tancrède de Bamberg duc de Marigny mais, souhaitant que leurs noms suivent immédiatement leur titre, il fut fait à l'inverse.
Hugo, dont les mains tremblaient légèrement, dut se contenir pour ne point enfler sa voix :
— Baron, votre ton est légèrement impoli et votre manière de poser les questions, toute de façon indirecte et par détour, manque de cette franchise qu'on prête aux gentilshommes.
Sous l'insulte, Pomarès pâlit à son tour puis s'en amusa aussitôt - l'âge lui donnait du recul - en constatant que le comte de Worden ne l'attaquait pas directement, usant lui aussi, sans doute par malice, d'une manière détournée et indirecte.
Pour sa part, Tancrède oscillait entre le désir d'en finir rapidement avec cette conversation et celui de ménager Pomarès, d'abord parce qu'il était âgé, ensuite en raison que les Templiers occupaient une place importante dans l'histoire des Bamberg.
Il s'éclaircit la voix et répondit à son tour :
— Enguerrand gagna Chypre, ne resta que deux jours avec celle qu'il aimait puis s'en alla en différents pays. On sait qu'il rencontra le Grand Khan en cette région que certains nomment Caucase où s'était établie la Horde d'Or puis il fit détour par la Prusse avant de regagner Chypre où sa femme était morte des fièvres, laissant un nouveau-né.
Pomarès hocha la tête :
— Puisque nous parlons franc, que savez-vous du trésor des Templiers ?
Bamberg eut peut-être le tort de répondre très vite :
— Ce que tout le monde en sait : juste avant que la Terre sainte ne soit perdue, les Templiers ramenèrent en France 150 000 florins d'or et dix mulets chargés d'argent jusqu'à
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