Le Conseil des Troubles
d'hommes après cette guerre, et seulement si vous le désirez. Êtes-vous satisfait?
— Je suis comblé, Votre Majesté.
— Eh bien allons dîner car à vous attendre, et avec ce froid, tous ici meurent de faim, et moi le tout premier.
18.
Le roi, en bout de table, avait fait asseoir Bamberg à sa droite.
Il s'agissait d'une petite salle bien chauffée par deux cheminées et égayée par la teinte bleu pastel des murs.
On ne comptait là que sept invités, dont le futur maréchal de Villeroi et le maréchal de Boufflers, celui qui, aux premiers mois de la guerre quatre ans plus tôt, avait pris Worms, Bingen et Kreunach tandis que Tancrède participait au siège de Phillipsbourg mené par Vauban.
Cependant, davantage qu'à ces officiers supérieurs, davantage, peut-être, qu'au roi lui-même, Bamberg aurait aimé s'intéresser à sa voisine à laquelle malheureusement il tournait à demi le dos pour répondre aux questions de Louis le Quatorzième.
La jeune femme, qu'on lui avait présentée, était âgée de vingt-trois ans comme le lui précisa non sans complaisance - et alors qu'il ne demandait rien - une courtisane, ajoutant qu'elle serait une lointaine cousine de Madame de Montespan, celle-ci ayant été ancienne favorite et grande passion du roi.
Vingt-trois ans, c'était huit de moins que Bamberg qui enregistra froidement l'information alors qu'en revanche il grava en son esprit le nom de la très jeune femme : Lydie de Mesnay, marquise d'Ey.
On pouvait dire, de la beauté de Mlle d'Ey, qu'elle était éblouissante. Blonde, elle correspondait aux critères de la mode de l'époque, ces femmes dont certains courtisans disent entre eux avec gourmandise qu'elles sont « dodues et fessues ». À quoi il fallait ajouter une opulente poitrine, une peau très blanche et de grands yeux noisette.
Bamberg regrettait de n'avoir point la marquise d'Ey en vis-à-vis. Il souffrait de la savoir proche à ses côtés, de profiter des fragrances de son parfum et d'entendre son joli rire sans pouvoir contempler ce visage, ne serait-ce que pour juger ce qu'il ressentait exactement.
Parfois, pour répondre à Villeroi et Boufflers, il apercevait fugitivement la jeune femme mais c'étaient là rares occasions car le roi semblait vouloir obtenir monopole de la conversation de Bamberg. Au reste, celui-ci ne regrettait point de ne pas voir les autres convives et par exemple certains hommes, lesquels, ôtant sans plus de façons leurs perruques, les posaient sur leur chaise avant de s'asseoir dessus. Ne portant pas de perruque, puisqu'il réunissait ses cheveux en un court catogan, Bamberg n'en pensait pas moins que s'il se trouvait dans le cas d'en coiffer une, il n'en disposerait pas avec pareille désinvolture.
Avant de découvrir Versailles, et sur ce qu'on lui en avait dit, il ne faisait pas trop de cas des gens de Cour mais ce qu'il venait de voir lui soulevait le coeur. En effet, les plus grands noms de France s'abîmaient dans l'oisiveté, s'essayaient au bel esprit, grimaçaient, tentaient de briller souventes fois aux dépens des autres, n'avaient que la futilité pour horizon et une place proche du roi pour ambition.
Le roi ne se lassait point d'entendre Bamberg répondre à ses questions, avouant que s'il n'avait été souverain, il eût souhaité vivre pareille existence. Mais surtout, le roi entrait en grande excitation pour tout ce qui concernait la façon différente dont Bamberg faisait la guerre : directions inversées, dépôts de munitions qui explosaient, chevaux volés et dispersés, vivres jetés dans la boue, centre-ville incendié, états-majors décimés. Endommager, détruire tout ce qui était vital pour les armées ennemies, stoppant leur progression, les obligeant à freiner leur avance pour réparer, reconstituer et réapprovisionner.
Le roi, suivant le cours de ses pensées, souffla à Bamberg :
— C'est là façon des plus intelligentes de faire la guerre, peu coûteuse en hommes et qui peut arracher la décision. Et en l'avenir, il est peu douteux que votre manière soit imitée... général ! Et comment l'idée vous est-elle venue ?
— Sire, encore jeune officier au Maine-Dragons, je ne faisais confiance à personne, espérant apprendre beaucoup en surveillant l'ennemi. Et de fait, après l'affrontement même violent, je voyais arriver des renforts, des munitions, des vivres, en un flot continu qui permettait à l'ennemi de reprendre vite l'offensive. Aussi ai-je pensé que sans
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