Le Conseil des Troubles
qu'il avait donné sa meilleure table à deux hommes d'une cinquantaine d'années. De là, on voyait tous ceux qui entraient ici, examen rapide auquel ne manquaient pas de se livrer les deux privilégiés.
Du premier, le Français, le tenancier savait le nom : baron Robert de Mortefontaine. Plusieurs policiers de très haut rang l'ayant quelquefois salué avec une déférence extrême, il entra en une quête de renseignements qui fut un demi-succès. S'il ne connut point trop de difficultés pour obtenir le nom qu'il cherchait, il ne tira rien de plus de ses indicateurs quant à la fonction exacte de cet étrange baron qui répandait crainte et respect autour de lui, si ce n'est qu'il fût haut placé parmi les gens de police.
De l'autre, il savait moins encore. Mettant bout à bout les mots surpris par les servantes, il établit que l'homme, un Italien, était marquis de Pontecorvo et général, mais il ignorait en quelle arme il servait et qu'enfin il parlait tour à tour avec un fort accent italien ou, plus étrange, sans accent du tout.
Au reste, il n'en saurait jamais davantage car la dernière fois qu'il vit les deux hommes, Mortefontaine, à l'instant de partir, lui glissa à voix basse :
— Ne cherchez point à savoir trop de choses concernant mon compagnon et moi-même. La Mandragore bleue est un bel endroit, la chair y est délicieuse : il serait désolant de voir flamber tout cela par une nuit incertaine...
La discrétion leur étant à présent garantie, Pontecorvo et Mortefontaine aimaient se retrouver ici.
On avait dîné d'huîtres, d'un succulent pâté, de pigeonneaux rôtis, d'entrecôtes et d'une tarte aux poires, le tout arrosé d'un vin clair de Loire.
On avait discuté sans passion de la guerre laquelle, comme chaque hiver, semblait presque endormie. Puis du roi, et de l'emprise toujours grandissante de Madame de Maintenon. Enfin, on parla de femmes mais si l'homme - si peu ! - d'Église s'en grisait jusqu'au déraisonnable, le policier répugnait à parler de pareil sujet, étant un homme vertueux et fidèle, repoussant toujours les nombreuses avances qui lui étaient faites par de belles aventurières, d'adorables petites ambitieuses et de jolies intrigantes qui toutes comprenaient parfaitement qu'un tel amant, dans sa position, faciliterait leurs projets d'établissement en d'enviables positions. Au fond, si le malheureux baron de Mortefontaine n'eût peut-être pas dédaigné, voici quelques années, de goûter lui aussi aux parfums délétères de l'adultère, la profusion des occasions offertes l'en avait à jamais dissuadé, le rapprochant d'une épouse ravie de sentir son grand homme lui revenir.
« C'est lui, le curé ! » pensa Pontecorvo, amusé, tout en décidant d'en venir à l'essentiel car l'amitié, nourrie en cette occurrence d'estime réciproque, ne constituait pas l'objet premier de cette rencontre. Mortefontaine, pour sa part, devina qu'on allait en venir aux choses sérieuses comme toujours après le dessert, selon une vieille habitude du marquis.
Celui-ci s'éclaircit la voix :
— Je ne sais si la chose a un lien avec ce qui nous occupe mais le Feu Follet est à Paris.
Mortefontaine fronça les sourcils et, d'un ton contrarié :
— Diable, nous n'avions pas besoin de lui, surtout pas de lui ! ... Et surtout pas en ce moment !
À cette mauvaise nouvelle s'ajoutait ceci qu'une fois encore, les services secrets de l'Église se montraient les plus rapides. Agaçant !
Le marquis de Pontecorvo n'en tira, du moins en apparence, aucune vanité, se contentant de répondre :
— Il a déjà tué un prêtre... égorgé.
Mortefontaine réfléchit :
— Tiens, tiens... Juste avant que de venir ici, j'ai appris qu'un armurier avait été tué, égorgé lui aussi.
Les deux hommes échangèrent un regard lourd puis le général des Jésuites but une gorgée de vin et expliqua :
— Cependant, certaines choses sont plus urgentes que d'autres. Nous savons qu'à travers le duc de Bamberg, le Conseil des Troubles, un peu en sommeil, cherche à réaffirmer son importance. Le duc gène par sa seule existence.
— J'ai vu le roi. Il n'est pas en grande clarté dans ses paroles. Il prétend qu'il faut en finir avec le Conseil des Troubles, qui est d'un autre temps, mais il dit aussi qu'il faut ménager ses membres suprêmes tant qu'on ne sait pas exactement qui ils sont tous, puisqu'on a identifié des monarques parmi eux.
Ironique, l'Italien remarqua :
— On fait la
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