Le Conseil des Troubles
fut rien encore au regard de ce qui allait suivre :
— De Mangeot, on vous estime. Je vous estime, votre général, le duc de Bamberg, vous estime. Le roi vous estime.
— Le roi ? Mon dieu !
— Bien entendu, le roi. Il me le disait ce matin encore en ces termes : « Monsieur le maréchal, je suis bien fâché car on ne fait point assez pour mes braves et vieux soldats. Tenez, le capitaine de Mangeot, par exemple. Veillez, monsieur le maréchal, qu'on remédie à cela qui est fâcheux, et qu'on fasse diligence ! »
— Mon dieu, le roi !
— Hé... c'est que oui, capitaine : le roi!
— Mon dieu !
— Aussi, de Mangeot, en grande urgence, comme il me le fut demandé, je m'en allais trouver votre général pour lui transmettre les bons sentiments du roi à votre endroit.
— À mon endroit, monsieur le maréchal!... Ah mon dieu!
— Précisément, de Mangeot, précisément! Mais je perdais mon temps car votre général, qui prépare une montée en grade de quelques officiers des Opérations Spéciales, vous avait dès longtemps envisagé en bonne place. Bien entendu, vous ne savez rien de cela que je viens de vous dire et feindrez le plus grand étonnement mais au fond de votre coeur, de Mangeot, conservez enfoui en réconfort la certitude de la bonne estime en laquelle vous tient Sa Majesté.
— La bonne estime : mon dieu !
— Mais oui, de Mangeot, mais oui. Cependant, si elle ne doute point de vos qualités militaires, Sa Majesté s'interroge déjà sur votre reconnaissance. N'est-ce pas, tout à l'heure le roi tournait en son cabinet de travail, l'air tourmenté, en répétant : « De Mangeot sera-t-il reconnaissant pour une fois que j'ai personnellement besoin de lui ? Ah, de Mangeot m'aime-t-il comme je l'aime? »
— Mais je l'aime aussi!... beugla de Mangeot en un long cri déchirant avant que d'ajouter : Mon dieu, que puis-je faire ?
On le lui dit et de Mangeot, qui se trouvait en charge de l'organisation du duel et de la sécurité des lieux, ne se fit pas prier pour installer une petite tribune garnie de prêtres et parmi eux un moine à capuchon dont on ne distinguait pas le visage.
Les prêtres n'étaient autres que des gentilshommes de la garde au corps du roi quand le moine au visage dissimulé se trouvait être le plus puissant monarque d'Europe.
Il connaissait la grande valeur de Charles de Lagès-Montry, demeuré à ce jour invaincu à l'épée comme au sabre, mais il ne savait rien des talents du duc de Bamberg. Fort réjoui, le monarque se dit qu'il allait assister au duel le plus palpitant du demi-siècle.
***
Elles n'étaient que deux femmes présentes en ces lieux où régnait la plus vive tension tandis que la rencontre, au sabre, se faisait attendre.
On ignorait par quels moyens, quelles protections, Lydie de Mesnay, marquise d'Ey, avait eu accès à ces lieux mais eu égard à sa grande beauté, qu'on savait monnayable entre deux portes, d'aucuns avaient une petite idée sur la chose.
Quant à Marion de Neuville, ravissante en sa robe verte et blanche, il lui avait suffi de dire à Bamberg : « Je ne resterai point dehors à mourir d'inquiétude pour vous ! »
Le duc, touché, avait cédé sans discuter, chargeant de Mangeot de la bien placer au premier rang.
Cependant, le vieux capitaine des dragons, dont la diplomatie n'était point le fort, réussit le rare exploit de placer les deux femmes à quelques mètres de distance...
43.
Charles de Lagès-Montry pénétra le premier dans les grandes écuries où dragons et mousquetaires avaient ménagé un vaste cercle pour les deux combattants.
Il nota avec satisfaction qu'il se trouvait le premier sur les lieux. Il aimait, en toutes choses, être le premier. Et vite, car c'était un homme pressé.
À ceux qui le remarquaient, il aimait narrer l'histoire de sa naissance. Ainsi sa mère, grosse, sentant les premières douleurs, s'était en toute hâte fait raccompagner en son hôtel particulier mais elle ne put l'atteindre sans accoucher avant, en carrosse et sur le Pont-Rouge 1 ! Et tout cela un 13 de février, soit le jeudi gras, ce qui laissait bien augurer du futur appétit du bébé.
À ce propos, il se reprocha d'avoir trop mangé au souper offert par le roi : faisans, perdrix, veau rôti servi avec les racines 2 , salades, choux-fleurs, fromages, fruits, pâtisseries, confitures... C'était trop mais il songea que tout cela lui fabriquerait du sang.
Il avait, de loin, observé son adversaire, l'homme qu'il avait
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