Le Conseil des Troubles
elle répondit :
— J'ai été injuste envers vous. J'ai appris au théâtre votre aventure avec Mme d'Ey, et que vous renonciez à elle. J'en fus jalouse et la raison en est que j'ai pensé... Mme d'Ey, d'ancienne noblesse, vous convient mieux que moi.
— N'est-ce pas à moi d'en juger? dit-il en souriant si gentiment qu'elle en fut profondément émue.
Puis, haussant les épaules, il ajouta :
— Il n'y eut que deux fois. La première, j'arrivais de la guerre, du froid et de la violence, la marquise s'offrit... La seconde, je venais de quitter la femme que j'aime, cela m'avait brisé le coeur, la solitude m'était insupportable et la marquise m'attendait. J'avoue, madame, que j'ai peu d'expérience des femmes, très peu.
Marion tenta de parler d'une voix calme :
— La femme que vous aimez devrait pouvoir comprendre ce que vous dites si simplement.
Elle s'interrompit lorsqu'un laquais ouvrit la portière du carrosse et le couple descendit, captant tous les regards.
Ils avançaient vers le château lorsqu'ils aperçurent un groupe de courtisanes et de courtisans qui s'amusaient avec un pauvre chien.
S'approchant, ils entendirent un homme souffler à la femme qui l'accompagnait :
— Ce baron de Golde-Marre de la Pleyel passe sa vie à bouffonner ! Il a acheté ce chien à un bateleur et voyez la représentation qu'il donne !
Harangué par un homme gras, blême, malsain, les mèches noires collées au front, le chien venait de danser sur les pattes arrière lorsque de Golde-Marre de la Pleyel lui lança :
— Bougie!
Le vieux chien se tint alors sur les pattes de devant et le baron, après l'avoir allumée, lui enfourna une bougie en le cul en lui faisant signe d'avancer, ce qui n'est point chose facile.
Bamberg fut bouleversé par ce spectacle. Si grande était sa colère qu'il ne remarqua pas la main de Marion qui lui avait saisi l'avant-bras. Même Scrub, ce qui était très inhabituel, se détourna.
Pendant ce temps, l'odieux de Golde-Marre de la Pleyel expliquait :
— Remarquez comme il avance bien avec sa bougie en le fondement!... Quand je rentre tard, c'est ainsi que je me fais éclairer.
On l'applaudit, mais pas assez pour couvrir la voix de Bamberg :
— Ce qu'un chien fait, un homme doit pouvoir s'en acquitter, n'est-ce pas ?
— Sans doute ! répondit l'autre, imprudemment.
— Voyons cela : à quatre pattes, monsieur ! dit-il en sortant son sabre de son fourreau.
— Mais... Je ne souhaite pas me battre !
— Je l'aurais parié ! répondit le général qui arracha la bougie du cul du chien et la planta en la bouche du baron de Golde-Marre de la Pleyel en précisant :
— Allons, ouvrez plus grand votre bec.
L'autre, assez veule, avala à demi la bougie.
— Est-elle à votre goût, monsieur, bien parfumée au cul de votre chien?
— Hum-hum ! grogna de Golde-Marre de la Pleyel qui, la bouche pleine, ne pouvait parler mais feignait d'apprécier le parfum si particulier de la bougie.
Alors, s'approchant et parlant bas, ne sachant point qu'il était cependant entendu de Marion de Neuville, Bamberg souffla :
— Que j'apprenne que tu fis le moindre mal à ce chien et morbleu ce n'est pas une bougie mais mon sabre que je t'enfonce dans le cul, et jusqu'à la garde !
De Golde-Marre de la Pleyel, plus livide que jamais, balbutia :
— Vos désirs sont des ordres, monsieur.
— Non, Golde-Marre, mes ordres sont mon désir !
Le couple s'éloigna et, la colère retombant, une certaine gène s'empara de Bamberg :
— Madame, je suis terriblement désolé... Je ne voulais pas vous imposer cet éclat mais ceci était si cruel et ce pauvre chien si vieux, si triste, le regard si malheureux, si démuni...
« Toi, mon bel amour, tu ne me déçois jamais ! » songea-t-elle en répondant :
— Ne l'eussiez-vous point fait, je lui arrachais les yeux !
Il tourna la tête vers elle et ils échangèrent un regard d'abord surpris puis moitié de connivence, moitié fort tendre, sachant qu'ils s'étaient retrouvés tels qu'avant l'épisode impliquant la marquise d'Ey.
Cependant, la joie de Marion fut de courte durée voyant surgir Charles de Lagès-Montry et trois autres mousquetaires qui leur barrèrent le chemin, à l'étonnement de Bamberg lequel, jusqu'à cet instant, ne connaissait pas même l'existence du comte commandant les mousquetaires de la Maison du roi.
Lagès-Montry ôta son gant blanc et souffleta Bamberg, tel qu'à la Cour on insulte pour provoquer un duel.
Cependant,
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