Le cri de l'oie blanche

docteur n’étaient pas en train de tuer son frère. Léon, malgré son extrême
fatigue, remplissait les casseroles de neige dont il accélérait la fonte en les
laissant quelques minutes sur le poêle. Clément avait le corps recouvert de
bandelettes. Blanche essaya de ne pas voir la mort dans ce déguisement. Après
une heure d’acharnement, Clément entra une seconde fois en convulsions. Le
médecin lui prit la main et demanda à Blanche de faire la même chose.
    – On sait pas ce que la médecine peut
faire, mais on sait que le cœur peut faire pas mal d’affaires. Parlez-lui,
Blanche. Doucement. Faut pas que Clément sente votre nervosité.
    Il avait chuchoté pour empêcher Clément de
l’entendre.
    Blanche ne savait que dire. Alors, elle
commença par remercier son frère d’être venu lui rendre visite. Elle ajouta
qu’il avait une légère fièvre mais que le médecin était avec elle et qu’à eux
deux ils le soigneraient. Elle continua de parler de tout et de rien. De leur
mère, de leurs frères et sœurs, de leurs oncles et tantes. Elle parla m ême de leur grand-mère, Félicité, qui l’aurait
sûrement grondé d’être allé dehors un soir de tempête. Elle parla ensuite de
ses élèves, surtout de Pierre.
    Le cœur drainé de son énergie, elle leva les
yeux vers le médecin qui souriait.
    – Les convulsions sont disparues.
    Il lui demanda de sortir, le temps qu’il
prenne sa température. Blanche le fit à regret. Il la rappela aussitôt.
    – Cent quatre, Blanche. Deux degrés de
moins. On continue !
    Ils mirent de nouveaux linges. À l’aube, la
fièvre s’était stabilisée à cent trois. Le médecin donna une nouvelle dose de
quinine à Clément, qui s’endormit après avoir dit qu’il avait faim. Le médecin
ferma la fenêtre et couvrit Clément d’une seule couverture.
    Blanche mit l’eau à bouillir et fit du café
bien fort. Elle ne réveilla pas Léon, qui s’était endormi, tout habillé, dans
la chambre de ses sœurs. Le médecin s’était assis à table, se tenant la tête à
deux mains.
    – Qu’est-ce que c’est, docteur, qu’il a,
Clément ?
    – Je suis pas certain. J’ai pensé que ça
pouvait être une pneumonie, mais c’est peut-être une pleurésie. D’une façon ou
de 1’ autre, il faut que Clément soit hospitalisé.
Mais avant de faire quoi que ce soit, je vais téléphoner au docteur Dixon, à
Grand-Mère. Pour le consulter. Je vais aller chez moi, me laver et me changer.
Peut-être dormir une heure ou deux si la santé des Saint-Titois me le permet.
Je devrais être revenu vers midi. Clément pourrait prendre le train de fin
d’après-midi. Bon ! J’y vas. La tempête a pas l’air plus calme, mais on
dirait que le jour c’est moins pire que la nuit. Merci pour le café.
    – Merci à vous, docteur.
    Le médecin porta son attention sur la main
molle que Blanche lui tendait.
    – Seigneur du bon Dieu ! C’est des
brûlures de froid, ça ?
    Blanche regarda sa main, stupéfaite. Le
médecin lui remit une pommade, lui interdisant tout contact avec la chaleur
excessive. Blanche promit d’obéir. Deux élèves seulement se présentèrent en
classe. Blanche les pria de retourner chez eux.
    Le médecin revint à une heure. Il n’avait pu
ni se changer, ni se laver, ni dormir, appelé d’urgence auprès d’une femme qui
accouchait.
    – J’ai parlé au docteur Dixon. Il va
attendre Clément à Grand-Mère. Maintenant, il faut qu’on l’installe. J’ai
emprunté un traîneau pour qu’on puisse le coucher. Le vent est moins fort, mais
la neige tombe comme de la fleur de farine.
    Blanche habilla Clément, qui se demandait ce
qui se passait. Il fut même surpris de voir Léon à ses côtés. Le médecin voulut
l’aider à se lever, mais Clément, trop faible, ne put le faire.
    – Une porte, docteur, est-ce que ça
serait correct ?
    – Comment ?
    – Une porte. Je pourrais décrocher la
porte de la chambre pis Blanche pourrait faire comme un lit. Une sorte de
civière.
    – Bonne idée, Léon. Faites-le.
    Léon enlevait lentement la porte de ses gonds
quand Laurette arriva.
    – Pour l’amour ! Qu’est-ce qui se
passe ?
    – J’vas t’expliquer ça, Laurette. Mais
pour l’instant, peux-tu m’aider à faire une civière pour mon frère
Clément ?
    Laurette se dévêtit à la hâte et aida Blanche.
Ils glissèrent Clément sur la civière de fortune et l’emmitouflèrent. Léon et
le médecin le descendirent dans