Le cri de l'oie blanche

l’escalier, ponctuant chacune des étapes
de : « Ça va ! Attention ! Encore un coup ! »,
pour s’encourager.
    Ils installèrent finalement Clément dans le
traîneau. Blanche monta à l’avant, à côté du médecin, et Léon resta à l’arrière
avec son ami. Ils partirent enfin, glissant lentement en direction du village.
Léon poussa un cri.
    – Arrêtez, docteur. Arrêtez ici.
    Le médecin, affolé, freina l’élan de ses
bêtes. Léon sauta du traîneau, se dirigea vers un amoncellement de neige, se mit
à gratter comme un chien qui cherche un os et poussa un cri de joie.
    – Sont là. Je les ai !
    Il revint en courant, tenant fièrement deux
valises.
    – Tu m’as fait peur. Je pensais que
c’était Clément qui recommençait ses convulsions.
    – Excusez-moi, docteur, mais fallait que
Clément ait sa valise pour l’hôpital. Il dort comme un bébé depuis qu’on est
partis.
    Ils arrivèrent à la gare et on leur annonça
que le train serait retardé. Le médecin téléphona chez lui pour savoir s’il y
avait des urgences. Sa femme lui dit que non. Il resta donc à côté de son
patient, lui redonna de la quinine et demanda à Blanche si elle n’était pas
trop fatiguée.
    – Non ! C’est pas la première fois
que je passe une nuit blanche. J’ai même tendance à faire de l’insomnie.
    – Va falloir soigner ça. Quand on se
couche, Blanche, faut penser à rien.
    – C’ est ce qu’on dit. Moi, quand je me couche, je pense à tout sauf à rien.
    Le train arriva enfin. Léon, le chef de gare
et le médecin prirent la civière de Clément. Le chef de train vint les rejoindre.
Il regarda la civière et hocha la tête.
    – Ça me fait rien, mais est-ce que vous
avez l’intention de le laisser là-dedans dans l’allée ?
    – On n’a pas le choix. Il est trop faible
pour s’asseoir.
    – Ça me fait rien, mais est-ce que vous
savez que l’allée est pas assez large pour ça ?
    Blanche sursauta.
    – Est-ce que vous essayez de nous dire
que mon frère peut pas monter à bord ? J’ai son billet.
    – Ça me fait rien, mais faudrait trouver
une autre solution.
    – Il est trop faible pour s’asseoir, je
viens de vous le dire.
    Le docteur Francœur commençait à
s’impatienter.
    Léon était sorti de la gare et regardait le
train. Il entra dans un wagon et constata que le chef de train avait raison. Il
jaugea la largeur des bancs et sut que la porte serait en équilibre trop
précaire. En redescendant, il eut une idée. Il entra dans la gare où la
discussion s’était envenimée entre le médecin, Blanche et le chef de train.
    – Ça me fait rien, mais le train est déjà
assez en retard. Faudrait qu’on partirait.
    – Un fourgon à malle , est-ce que
c’est chauffé ?
    Blanche et le médecin se regardèrent. Le chef
de train lui-même fut un peu étonné par la question.
    – Avec une truie, oui. Mais le règlement
interdit de monter du monde dans le fourgon à malle. C’est pas sécuritaire.
    Le médecin s’empourpra.
    – Vous allez monter mon patient dans ce
wagon-là ! Je vais signer une lettre qui dit que j’en prends toute la
responsabilité. Ouvrez !
    Le chef de train, affolé, prit une des clefs
de son trousseau et se dirigea vers le wagon. Il ouvrit la porte toute grande.
Léon et le médecin montèrent pour inspecter les lieux. Le froid n’était pas
piquant, simplement humide. Il y avait une table, une chaise, une lampe au
kérosène, des bûches, des sacs empilés partout et des dizaines de petits
casiers fixés au mur.
    – C’est parfait !
    Ils entrèrent tous les deux dans la gare,
prirent la civière et la portèrent dans le wagon. Blanche monta derrière eux.
    – Toi, Léon, tu vas t’asseoir sur la
chaise. Moi, j’vas essayer de dormir sur les sacs.
    – Ça me fait rien, mais une femme ici,
c’est trop. Un malade, ça passe. Mais une femme…
    – Le malade, c’est mon jeune frère. J’vas
avec lui, un point c’est tout.
    – Non, Blanche.
    Le médecin venait de parler. Blanche le
regarda, furieuse.
    Tes mains sont en mauvais état pis tu tombes
de fatigue. Son admission est faite à l’hôpital pis on l’attend à la gare. Je
pense que c’est mieux que tu demeures ici. Léon va l’accompagner.
    – Mais si Clément empire ?
    – Tu pourrais rien faire de plus que
Léon. Tu iras le voir la semaine prochaine. Tu vas voir, il va déjà être en
meilleur état.
    – Ça me fait rien, mais je donne le coup
de