Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
accroire, il y a là, vous en conviendrez, de quoi s'interroger sur le conte qu'on a voulu vous servir ! Ajoutez à cela qu'à part une lettre nous indiquant obligeamment l'identité du cadavre, nous n'avons rien découvert dans les poches de son habit, aucune de ces babioles que chacun traîne avec soi. Rien, pas une miette !
— Pas même un petit carnet noir ? dit Sanson en souriant.
— Rien, le néant. De tout cela, il revient que nous sommes devant une tentative pour égarer la justice. Cependant, elle me paraît si évidente, si évidente dans sa fausseté même, que j'en viens à me demander si on ne souhaitait pas que nous découvrions cette tentative.
Une idée lui courait derrière la tête, qu'il ne voulait pas formuler trop hâtivement. Ou bien il n'avait pas encore tout vu et d'autres éléments surgiraient, venant conforter cette possibilité. Peut-être que… Non, il était trop tôt. Il n'y avait plus grand-chose à tirer de cette pauvre dépouille. Tout concourait à penser qu'il ne pouvait s'agir de Duchamplan cadet, mais bien de Vitry, le garçon jardinier embauché à Bicêtre pour être cocher et commis à on ne savait quelles ténébreuses tâches. C'était le même qui avait par hasard conduit Nicolas à Popincourt : le numéro du fiacre en faisait foi.
Il remercia Sanson et prépara avec lui l'interrogatoire qu'il comptait organiser de certains domestiques de l'hôtel Saint-Florentin. Les instructions dispensées étaient précises : il s'agissait d'impressionner par le déploiement effrayant des instruments de la question. Il comptait sur la terreur que causerait cet étalage devant des témoins peu au fait des usages de la justice pour dissuader les tentations du mensonge. Sa méthode consistait à paralyser la volonté de résistance sans pourtant aller jusqu'à la pression directe, qui rédimait toute sincérité.
À ce moment, Bourdeau surgit, un paquet à la main. Il salua Sanson avec amitié.
— Alors, Pierre, du nouveau ?
— J'ai mis à la géhenne tout le domestique de l'hôtel du ministre et, finalement, ayant entrepris la lingère à la buanderie, j'ai réussi à obtenir ce que nous souhaitions.
Il défit le ballot et en sortit deux chemises, l'une ensanglantée, l'autre fraîchement repassée, et identique.
— Cela me va bien, dit Nicolas. J'espère que la lingère était accorte.
Les trois amis se mirent à rire, puis Nicolas résuma le résultat de l'ouverture à Bourdeau.
— Je m'y perds, dit l'inspecteur.
— Il y a de quoi, mais raisonnons, reprit Nicolas. Soit nous nous trompons dans nos constatations, et ce corps-ci est celui d'Eudes Duchamplan. Dans ce cas, hautement improbable, pour les raisons que je vous ai dites, qui avait intérêt à le tuer ? Ou bien le corps que voilà est celui du cocher du fiacre, Anselme Vitry, jardinier à Popincourt et ancien promis de Marguerite Pindron, et si nous prenons en compte des maladresses, sans doute volontaires, on souhaitait nous faire supposer par la présence de la chemise ensanglantée que le duc de la Vrillière était à nouveau impliqué dans un crime. L'étant dans ce dernier, il devenait suspect pour les autres.
— Comment aurait-on pu prévoir que nous irions perquisitionner rue Christine ? objecta Bourdeau.
— La supposition en était aisée ! Que nous ayons pris le corps du Vauxhall pour celui de Duchamplan ou pour un autre, le pli trouvé sur le cadavre nous conduisait obligatoirement rue Christine. Seulement, on n'avait peut-être pas tablé sur notre célérité et nous sommes arrivés si vite que nous avons surpris Lord Aschbury.
— Et si tout cela était dans la main du ministre ? Quel meilleur moyen pour lui de nous offrir sur un plateau des raisons d'échapper à cette même accusation ? Il est peut-être de mèche avec Eudes Duchamplan, ayant dû fréquenter les mêmes mauvais lieux, avec son maître d'hôtel comme intermédiaire. Cela recouperait ce que nous a suggéré le frère aîné.
— Ne divaguons pas, reprit Nicolas, et demeurons attachés aussi près que possible des faits. Nous avons un cadavre que l'on a cherché à faire passer pour un suicidé. Nous trouvons une chemise ensanglantée dans le logis de la prétendue victime. Qui accuse-t-elle ? Le duc de la Vrillière.
Nicolas marchait de long en large.
— Peut-être sommes-nous seulement intervenus dans un épisode préalable, reprit-il. Son épilogue n'était pas encore préparé. Le boutefeu n'est
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