Le Crime De Paragon Walk
dit Selena avec froideur.
Son ravissement ne transparaissait guère dans sa voix, et son regard était aussi glacial et lointain qu’un fleuve en hiver.
— Et dans de plus heureuses circonstances, sourit Charlotte.
Franchement, elle devenait une parfaite hypocrite ! Mais que lui arrivait-il donc ?
Le visage de Selena se ferma.
— Je suis si contente pour vous que tout soit terminé, poursuivit Charlotte, aiguillonnée par un profond sentiment d’aversion. C’est dramatique, certes, mais au moins il n’y a plus rien à craindre : le mystère est résolu.
Et elle ajouta, aussi gaiement que la décence le permettait :
— On n’a plus à avoir peur les uns des autres. Tout est clair, tout s’explique... quel soulagement !
— J’ignorais que vous aviez peur, Mrs. Pitt.
La mine hostile de Selena laissait entendre que sa peur était totalement sans fondement, puisqu’elle ne courait aucune espèce de danger.
Charlotte saisit l’occasion.
— Bien sûr que si, et pour Emily aussi. Si une femme de votre rang et de votre éducation s’est fait molester, qui peut encore se croire en sécurité, voyons ?
Selena chercha en vain une manière de répondre qui ne fût pas trop ouvertement grossière.
— Et quel soulagement pour les gentlemen, continuait Charlotte, implacable. Ils ont été lavés de tout soupçon. Désormais, nous savons qu’il n’y avait point de coupable parmi eux. C’est bien triste et fâcheux que d’être obligé de suspecter ses propres amis.
Les doigts d’Emily lui meurtrissaient le bras; secouée de rire, sa sœur dut simuler une crise d’éternuements.
— Quelle chaleur! fit Charlotte, affable. On suffoque, vraiment. Ça ne m’étonnerait pas que le temps tourne à l’orage. J’adore les orages, pas vous?
— Non, rétorqua Selena sèchement. Je trouve ça vulgaire. Excessivement vulgaire.
Emily éternua violemment, et Selena s’écarta. Algernon Burnon passant par là avec un sorbet à la main, elle en profita pour s’esquiver.
Emily émergea de sous son mouchoir.
— Tu es atroce ! déclara-t-elle, ravie. Elle était dans ses petits souliers : je ne l’ai encore jamais vue comme ça.
En un éclair, Charlotte comprit ce qui la gênait chez Selena.
— C’est toi qui l’as vue la première après son agression, n’est-ce pas? demanda-t-elle gravement.
— Oui, pourquoi?
— Qu’est-il arrivé... exactement?
Emily parut interloquée.
— Je l’ai entendue hurler. Je suis sortie en courant et je l’ai vue. Je suis allée à sa rencontre et, naturellement, je l’ai ramenée à la maison. A quoi veux-tu en venir? Qu’y a-t-il, Charlotte?
— Comment était-elle ?
— Comment? Comme une femme qui s’était fait attaquer! Sa robe était déchirée, et elle était tout échevelée...
— Déchirée comment? insista Charlotte.
Emily tenta de se le représenter mentalement. Sa
main alla vers son épaule gauche, esquissant le geste d’arracher son propre corsage.
— Comme ça? fit Charlotte rapidement. Était-elle couverte de boue ?
— De boue, non. De poussière probablement, mais je n’ai pas fait attention. Je n’avais pas la tête à ça.
— Mais tu m’as dit que, d’après elle, cela s’était passé dans l’herbe, du côté des massifs de rosiers.
— Il fait chaud et sec, riposta Emily en écartant les mains. Et puis, quelle importance?
— Les parterres de fleurs sont arrosés régulièrement. J’ai vu les jardiniers le faire. Si on l’avait jetée à terre...
— Eh bien, ce n’était peut-être pas là! C’était peut-être dans l’allée. Qu’essaies-tu de me dire?
Emily commençait à comprendre.
— Emily, si j’avais déchiré ma robe et défait mes cheveux, puis couru en criant dans la rue, en quoi aurais-je eu l’air différente de Selena, telle qu’elle t’est apparue l’autre soir?
Les yeux d’Emily étaient d’un bleu limpide.
— En rien, répliqua-t-elle tandis que tout s’éclaircissait.
— A mon avis, personne n’a agressé Selena, dit Charlotte, détachant soigneusement chaque mot. Elle a tout inventé pour attirer l’attention sur elle et prendre sa revanche sur Jessamyn. Seulement, Jes-samyn a vu clair. C’est pourquoi elle a fait mine de la plaindre, sans que cela l’affecte le moins du monde. Elle savait très bien que Paul Alaric
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