Le Dernier Caton
plus vite et me donnait envie de pleurer et de rire à la fois, qui me faisait exister seulement pour cette main qui serrait la mienne, était le résultat absurde des terribles expériences que je vivais. Une fois cette aventure terminée, je rentrerais chez moi et tout redeviendrait comme avant. La vie reprendrait son cours normal, et je retrouverais mon Hypogée pour m’y enterrer entre mes livres anciens et mes manuscrits… M’enterrer ? J’avais dit « m’en-terrer » ? En réalité, je ne pouvais supporter l’idée de revenir sans Farag, sans Farag Boswell… Tandis que je prononçais son nom à voix basse, un sourire se dessina sur mes lèvres… Farag… Non ! Je ne pouvais pas reprendre ma vie antérieure sans lui. Mais je ne pouvais pas non plus revenir avec lui. J’étais une religieuse ! Je ne pouvais quitter l’habit ! Toute ma vie, tout mon travail tournaient autour de cet axe central.
— La porte ! s’exclama le capitaine.
J’aurais voulu me retourner pour regarder Farag. J’avais besoin de le voir, de lui dire que nous étions arrivés, même s’il avait certainement entendu lui aussi mais, si je tournais la tête, je risquais de m’arracher le nez. Cette précaution me sauva. Ces dernières minutes avant de quitter le couloir de la Lune me rendirent la raison. Ce fut peut-être le fait d’arriver à la fin de l’épreuve, ou la certitude que je me perdrais pour toujours si je laissais ces émotions intenses s’emparer de moi, mais la raison s’imposa, et mon être rationnel gagna cette première manche. J’arrachai le danger à la racine, je le noyai à sa naissance, sans pitié et sans hésitation.
— Ouvrez-la, capitaine ! criai-je en lâchant brusquement cette main qui tout à l’heure était la seule chose qui comptait dans ma vie.
Et par ce simple geste, bien que douloureux, tout s’effaça.
— Tu te sens bien, Ottavia ? me demanda Farag, inquiet.
— Je ne sais pas… (Ma voix tremblait un peu mais je me ressaisis.) Quand je pourrai respirer sans me piquer, je te le dirai. Maintenant, il faut que je sorte d’ici.
Nous étions arrivés au centre du labyrinthe, et je remerciai Dieu de cet ample espace circulaire dans lequel nous pouvions bouger et étirer nos bras sans danger.
Le capitaine posa la torche sur une table qui se trouvait là, au centre, et nous contemplâmes les parages comme s’il s’agissait d’un magnifique palais. Nous présentions un aspect nettement moins agréable. Nous ressemblions à des ouvriers sortant de la mine, mais à la place de charbon nous étions couverts de sang. Une multitude de petites coupures saignaient sur nos fronts, joues, cous et bras. Des blessures apparurent sous nos pantalons et pulls, sans compter les rougeurs produites par le liquide urticant des plantes. Et, pour couronner le tout, quelques épines s’étaient fichées sur nos corps.
Heureusement, le capitaine avait pensé à emporter une petite trousse de secours. Avec un peu de coton et d’eau oxygénée nous nettoyâmes nos plaies, toutes superficielles, avant de passer par-dessus une bonne couche de teinture iodée. Ainsi soignés et réconfortés par notre nouvelle situation, nous examinâmes le lieu.
La première chose qui attira notre attention fut la table rudimentaire sur laquelle était posée la torche électrique. En réalité il s’agissait d’une vieille enclume de métal assez grande, usée sur sa partie supérieure par des années de service dans une forge quelconque. Mais le plus curieux, ce n’était pas l’enclume, finalement assez décorative, mais l’énorme pile de marteaux de tailles différentes empilés dans un coin comme de vieux objets mis au rebut.
Nous regardions en silence cet amas insolite, incapables de deviner ce que nous devions en faire. S’il y avait eu au moins un feu et un morceau de métal à modeler nous aurions compris, mais ces marteaux et l’enclume ne nous fournissaient aucune piste.
— Je propose que nous dînions et que nous allions dormir, suggéra Farag en se laissant tomber par terre et en appuyant le dos sur la douce muraille verte qui couvrait de nouveau les parois circulaires de pierre. Demain nous serons plus frais. Moi, en tout cas, je n’en peux plus.
Sans dire mot, totalement d’accord avec lui, nous l’imitâmes. On verrait bien demain.
Il ne restait plus de café dans la Thermos, ni d’eau dans la gourde, ni de sandwichs dans le sac à dos. Il ne nous restait rien à
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