Le Dernier Caton
facile de faire une rangée de marteaux, ou plutôt une spirale, comme la topographie du lieu nous y obligeait, qui allait du plus grand au plus petit et en intercalant ceux qui restaient en fonction de leur volume. Nous y arrivâmes finalement, couverts de sueur et assoiffés comme en plein désert. À partir de là, la tâche fut plus simple. Nous prîmes le premier marteau, le plus grand, et frappâmes l’enclume, puis le huitième que nous fîmes sonner aussi. Comme nous n’étions pas sûrs que la note soit la même, nous essayâmes aussi le septième et le neuvième, mais le résultat ne fut pas concluant. Après un long débat, après avoir de nouveau soupesé les marteaux, nous décidâmes qu’en effet nous nous étions trompés, et qu’il fallait échanger le huitième par le neuvième. Alors, les notes commencèrent à sonner juste.
Malheureusement, le marteau qui devait fournir la note ré, le deuxième, ne donnait pas du tout un ré (tout le monde sait chanter la gamme du do et nous étions d’accord au moins sur ce point, cela ne ressemblait pas à un ré ). Néanmoins, dans la deuxième octave, celle du do obtenue après l’échange, le deuxième marteau sonnait comme le ré du do correspondant, aussi nous avancions, malgré tout, sans nous en rendre compte, comme le jour qui s’écoulait. La seconde échelle disposait aussi d’un mi , ou du moins c’est ce qu’il nous sembla après les avoir tous essayés ; nous dûmes donc chercher le troisième do et trouver son ré et son mi, qui n’étaient pas à leur place, pour changer, mais deux marteaux plus loin.
C’était de la folie pure ! Il n’y avait pas moyen de localiser une octave complète, soit parce que la disposition des marteaux était incorrecte, soit parce que tout simplement les marteaux nécessaires manquaient. Entre le désespoir, les coups frappés sur l’enclume, la faim et la soif, je commençais à avoir un de mes maux de tête habituels, qui ne fit qu’augmenter au fil de la journée. Enfin, au milieu de l’après-midi, nous eûmes l’impression d’avoir complété la gamme. Toutes les notes sonnaient juste. Mais je n’étais pas très sûre qu’elles fussent correctes, elles ne paraissaient pas absolument exactes, comme s’il manquait quelques grammes de fer ou qu’il y en eût trop quelque part. Farag et le capitaine étaient, eux, persuadés que nous avions atteint notre objectif.
— Dans ce cas, pourquoi ne se passe-t-il rien ? demandai-je.
— Et que doit-il se passer, à votre avis ? voulut savoir Glauser-Röist.
— Je vous rappelle que nous devons sortir d’ici.
— Eh bien, asseyons-nous et attendons. Ils viendront bien nous chercher.
— Pourquoi ne puis-je vous convaincre que cette échelle musicale n’est pas tout à fait correcte ?
— Elle l’est, Basileia, je ne vois pas pourquoi tu t’obstines à dire le contraire.
Ma migraine et leur entêtement me mirent de mauvaise humeur. Je me laissai tomber à terre et m’enfermai dans un silence tourmenté qu’ils choisirent d’ignorer. Mais les minutes passaient, et ils commencèrent à prendre des mines de circonstance en se demandant si finalement je n’avais pas raison. Les yeux fermés, respirant de manière rythmée, je réfléchissais en me disant que ce moment de repos nous ferait du bien. Quand vous passez toute la journée dans le bruit, des bruits qui en plus veulent être des notes musicales, il arrive un moment où l’on n’entend plus rien clairement. Ce silence imposé nettoya nos oreilles. Farag et le capitaine étaient peut-être prêts maintenant à changer d’opinion en écoutant de nouveau leur merveilleuse échelle musicale.
— Essayez de nouveau, les encourageai-je sans bouger de ma place.
Farag ne fit pas le moindre geste mais le capitaine, irréductible jusqu’à se contredire lui-même, fit une nouvelle tentative. Il fit sonner les sept notes, et perçut enfin une légère erreur dans le fa de l’octave.
— Le professeur Salina avait raison, admit-il à contrecœur.
— J’ai remarqué, dit Farag en haussant les épaules avec un sourire.
Le Roc tourna autour de la spirale pour localiser les marteaux antérieur et postérieur au fa. Il y avait encore une erreur. Il essaya plusieurs fois jusqu’à ce qu’il trouve l’outil qui donnait la bonne note.
— Refaites-les sonner, lui demanda alors Farag.
Glauser-Röist frappa l’enclume avec les sept marteaux définitifs. Le soleil se
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