Le Dernier Caton
chemin. Il se fait tard.
Des vêtements de sport extravagants m’attendaient dans ma chambre. J’avais l’impression d’être si ridicule en les enfilant que j’eus envie de disparaître sous terre. Je dois reconnaître cependant que, lorsque je retirai mes chaussures et enfilai mes baskets blanches, les choses s’améliorèrent. Et, plus encore, quand j’ajoutai un discret foulard de soie autour du cou. Finalement, l’ensemble n’était pas si pathétique, et il avait l’avantage d’être très confortable. Je n’avais pas eu le temps d’aller chez le coiffeur et mes cheveux étaient assez longs pour que je les relève en queue de cheval. Une coiffure inhabituelle, qui me permettait de ne pas avoir les cheveux sur le visage. J’enfilai mon manteau de laine, plus pour masquer ma tenue qu’en raison du froid, et descendis dans le hall de l’hôtel, où mes compagnons, le portier et le chauffeur m’attendaient.
Le trajet fut agrémenté de conseils et recommandations variés de dernière heure. J’en conclus que le capitaine n’avait pas la moindre intention de nous attendre Farag et moi, et je lui donnai raison. L’idée était que l’un de nous trois au moins parvienne à Kapnikarea avant l’aube. Il était fondamental de pouvoir continuer les épreuves. L’un de nous devait réussir pour découvrir la piste suivante. Même si Farag et moi étions éliminés, nous pourrions toujours continuer à collaborer avec Glauser-Röist pour les cercles suivants.
Les routes ressemblaient à des chemins ruraux. La circulation n’était pas excessive. La largeur et la qualité du sol ne rappelaient pas du tout les routes italiennes. On avait l’impression d’avoir reculé dans le temps de dix ou quinze ans. La Grèce continuait à être un pays merveilleux.
La nuit tombait quand nous traversâmes enfin les premières rues de Marathon. Enclavée dans une vallée entourée de collines, c’était un lieu idéal pour une bataille en raison de son terrain plat et de ses amples espaces. Rien ne la différenciait d’un ville industrielle et laborieuse de l’Europe actuelle. Le chauffeur nous expliqua qu’à la haute saison elle recevait beaucoup de touristes, sportifs et autres, qui avaient envie de faire la fameuse course. Fin mai, on ne voyait personne, à part les habitants.
La voiture s’arrêta devant un lieu étrange en dehors de la ville, près d’un monticule couvert d’herbes folles et de fleurs. Nous sortîmes en contemplant le tumulus, conscients que là avait eu lieu un des faits les plus importants et oubliés de l’Histoire. Si les Perses avaient gagné la bataille de Marathon, s’ils avaient imposé leur culture, leur religion et leur politique aux Grecs, le monde tel que nous le connaissions aujourd’hui n’existerait probablement pas. Tout serait différent, ni mieux ni pire, juste différent. Cette bataille lointaine pouvait être considérée comme la digue qui avait permis à notre culture de croître librement. Sous ce tumulus, reposaient les cent quatre-vingt-douze Athéniens qui moururent pour rendre cela possible.
Le chauffeur nous quitta. Nous demeurâmes seuls. J’avais laissé mon manteau dans la voiture car il faisait un temps magnifique.
— Combien de temps avant le coucher du soleil, Kaspar ? demanda Farag.
Il arborait une étrange tenue : chemise blanche à manches longues et pantalon de sport bleu, court. Nous avions tous un petit sac de toile rempli de tout le nécessaire pour accomplir la course.
— Il est huit heures et demie. Il fera bientôt nuit. Faisons un tour par la colline. (Le capitaine était magnifique avec son beau pull rouge qui mettait en valeur son corps d’athlète.)
Le tumulus était beaucoup plus haut que ce qu’il semblait à première vue. Même le Roc avait l’air d’une fourmi tandis qu’il commençait l’ascension. Le silence était tel que la voix grecque qui nous interpella de l’autre côté de la colline nous fit sursauter.
— C’était quoi ? cria-t-il.
— Allons voir, proposai-je en faisant le tour.
Assis sur un banc de pierre, profitant de la douceur du soir, un groupe de vieillards aux chapeaux noirs, avec des bâtons en guise de canne, nous contemplaient d’un air très amusé. Évidemment, je ne compris pas un mot de ce qu’ils disaient, mais ils ne s’adressaient pas à nous, de toute évidence. Habitués aux touristes, ils devaient beaucoup rire en voyant débarquer ceux qui, déguisés comme
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