Le Dernier Caton
portait très bien. Sa barbe était encore assez noire, et son regard sympathique et affable. Il se leva en nous voyant arriver et s’approcha de nous :
— Je suis ravi de vous recevoir en Grèce, nous dit-il dans un italien parfait. Je souhaite vous dire notre profonde reconnaissance pour tout ce que vous faites pour les Églises chrétiennes.
Faisant fi du protocole, il nous présenta alors à tous les membres de l’assemblée, où se trouvait réunie une bonne partie du synode de l’Église de Grèce. Son Éminence le métropolite de Staoi et des Météores, Serapheim (il n’était pas dans la coutume, apparemment, de mentionner le nom de famille de la personne qui occupait un haut poste religieux) ; le métropolite de Kaisariani, Vyron et Ymittos, Daniel ; le métropolite de Mesogaia et Lavreotiki, Agathonikos ; Leurs Éminences les métropolites de Mégare et Salamis, de Chalkis, de Thessaliotis et Fanariofarsala, de Mytilène, Eressos et Plomarion, de… Enfin une longue liste de métropolites, archimandrites et évêques aux noms majestueux (je fus consciente de mon ignorance lorsque je me montrai incapable de différencier les rangs de la hiérarchie orthodoxe à leurs vêtements et médailles). Si la réunion que nous avions eue le jour de notre arrivée à Jérusalem m’avait paru un tantinet exagérée, celle-ci me sembla encore plus démesurée. Nous étions devenus de véritables héros malgré nous.
Tout le monde voulait connaître les détails de notre mission. Malgré nos refus réitérés, le capitaine se vit finalement obligé de raconter les aventures que nous avions traversées jusqu’alors, en omettant cependant tous les points importants. En particulier ceux liés à la confrérie des stavrophilakes. Nous n’avions confiance en personne, et ce n’était pas folie de penser que dans cette agréable assemblée avait pu s’infiltrer un membre de la secte. Le capitaine n’expliqua pas davantage, et pourtant on le sollicita à maintes reprises, le contenu de l’épreuve que nous allions accomplir cette nuit même. Dans l’avion, nous avions parlé de la nécessité de maintenir le secret, puisque l’innocente intromission de n’importe quel curieux pourrait constituer un obstacle pour atteindre notre objectif. Les seuls à le connaître étaient l’archevêque bien sûr et une autre personne du synode proche de lui, mais nul autre ne pouvait savoir qu’à la nuit tombée trois coureurs novices, dont un rat de bibliothèque, sueraient sang et eau sur le sol attique pour gagner le droit de continuer à risquer leur vie.
Nous fumes conviés à un magnifique repas dans un salon privé de l’hôtel et je profitai comme une enfant de tous les mets : tarama , moussaka , souvlakia avec tzatziki – un mélange de petits morceaux de porc assaisonnés de citron, d’herbes et d’huile d’olive, accompagné de la fameuse sauce aux yaourt et poivrons, ail et menthe, et de kleftiki, ces sortes de friands à la viande. Les pains aux fèves, herbes, olive et fromage méritaient à eux seuls une mention spéciale. On nous servit en dessert une salade de fruits frais. Que demander de plus ? Il n’y avait pas de meilleure cuisine que la cuisine méditerranéenne, comme le pensait sans doute Farag qui mangea pour quatre.
Quand enfin nous fûmes libérés du protocole et que les dignitaires barbus partirent, nous dûmes nous mettre tout de suite au travail parce qu’il restait encore beaucoup de choses à faire. Sa Béatitude Christodoulos voulut rester avec nous pour voir comment nous nous préparions à l’épreuve, mais, contrairement à ce que nous pouvions craindre, sa présence ne constitua en rien une gêne, bien au contraire. Quand tous les autres convives disparurent, il fit preuve d’un esprit jovial, juvénile et sportif qui dépassait de loin le nôtre.
Il nous raconta que les premiers Jeux de l’époque moderne eurent lieu en Grèce en 1896, après plus de mille cinq cents ans d’absence. Le gagnant du marathon fut un berger grec de vingt-trois ans à peine et d’un mètre soixante, appelé Spyros Louis. Considéré depuis comme un héros national, il avait parcouru la distance qui séparait la ville de Marathon du Stade olympique d’Athènes en deux heures cinquante-huit minutes et cinquante secondes.
— C’était un coureur professionnel ? demandai-je, intéressée.
J’avais l’intime conviction que je n’allais pas pouvoir passer cette épreuve, et ce
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