Le Dernier Caton
comme un lion en cage.
La chambre de Farag était juste de l’autre côté du couloir.
— Zauditu ! la gronda Haidé. Excuse-la, Ottavia, elle est trop jeune pour comprendre qu’en haut vous avez d’autres coutumes.
Je souris. J’étais incapable de parler. Je voulais seulement qu’elles s’en aillent et que Farag vienne me retrouver. Elles se dirigèrent enfin vers la porte.
— Bonne nuit, Ottavia, murmurèrent-elles, très souriantes.
Je m’avançai vers le miroir et me regardai. Je n’étais pas au mieux de ma forme. Ma tête ressemblait à une boule de billard et mes sourcils flottaient comme des îles sur une mer glabre. Mais mes yeux brillaient d’un éclat nouveau et un sourire idiot me monta aux lèvres. Je me sentais heureuse. Le Paradeisos était un lieu extraordinaire, très retardé du point de vue matériel, mais très avancé sur tant d’autres aspects. Ses habitants ne connaissaient pas le stress, ni l’angoisse, ni la lutte quotidienne pour survivre dans un monde plein de dangers. La vie s’écoulait, paisible, et ils savaient apprécier ce qu’ils avaient. J’aurais aimé emporter du Paradeisos cette merveilleuse capacité à profiter de tout, aussi insignifiant cela soit-il, et pensais la mettre en pratique cette nuit même.
J’avais peur. Mon cœur battait si fort qu’il semblait qu’il allait éclater. Ne le fais pas, Ottavia, murmurait une voix intérieure. Je pouvais encore reculer… Pourquoi cette nuit ? Pourquoi ne pas attendre demain ou notre retour là-haut ? Pourquoi ne pas attendre d’avoir reçu la bénédiction de l’Église ?
Autant ne pas le faire et ne le faire jamais, dis-je à voix haute d’un ton de reproche. Allons, Ottavia, tu le veux, tu en meurs d’envie alors de quoi as-tu peur ? Mon cœur battait encore plus fort et je sentis des gouttes de sueur sur mon front. Il ne manquait plus que ça ! Sans le savoir, toute ma vie avait été une lente attente de ce moment, et maintenant, après avoir défait tant de liens, vécu tant de choses, laissé derrière moi l’étroite armature dans laquelle j’avais enfermé mon corps, maintenant, j’avais la chance immense d’avoir trouvé l’homme le plus merveilleux du monde qui me désirait et m’aimait. Pourquoi étais-je si effrayée ? Farag m’avait rendue libre et avait attendu avec beaucoup de douceur que je rompisse avec ma vie antérieure. Quand il m’embrassait, il y avait dans ses baisers une promesse ferme, un sentiment intense de passion qui m’entraînait vers des lieux inconnus, comme une feuille emportée par la tourmente. Si je pouvais me perdre dans son baiser, pourquoi ne pas le faire dans son corps ?
On frappa trois petits coups discrets à la porte.
— Entre, dis-je, amusée et nerveuse. Ne sois pas si prudent, s’ils veulent nous entendre, rien ne peut les en empêcher.
— Tu as raison, émit-il timidement. J’oublie qu’ils lisent dans les pensées.
— Et alors ? déclarai-je en allant vers lui et en lui jetant mes bras au cou.
Farag était aussi nerveux que moi, je le voyais à ses yeux qui cillaient sans cesse et à sa voix qui tremblait.
Il m’embrassa tout doucement.
— Tu es sûre que tu veux que je reste ? me dit-il comme apeuré.
Où donc était passé mon Casanova ?
— Bien sûr, dis-je en l’embrassant de nouveau, je veux que tu passes la nuit avec moi. Celle-là et toutes celles qui suivront.
Je perdis la notion du temps et mon cœur aussi, qui s’unit à jamais au sien. J’abandonnai l’ancienne Ottavia sans regrets et sans remords. Je me laissai porter jusqu’au lit, bien que je ne me souvienne plus comment, parce que la saveur de sa bouche était si intense qu’elle me parut être la saveur de la vie même.
La nuit passa, et moi, unie à son corps, transformée en un flot de sensations qui allaient de la tendresse la plus douce à la folie la plus furieuse, je découvris que ce que je commettais ne pouvait être cet acte si terrible, condamné par toutes les religions de manière inexplicable tout au long des siècles. Ils étaient fous ! En quoi cette plénitude et cette félicité absolues étaient-elles mauvaises ? Le corps de Farag, fort et élancé, devint l’unique objet de mon désir. Je sentis que je devenais un être nouveau et palpitant qui désormais et pour toujours attendrait ces moments d’amour et de folie infinis. Au début, le manque de confiance me noua par des cordes invisibles, mais, ensuite, la peau
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