Le Dernier Caton
retournant vers le mur. Il manque la dernière ligne : « Le temple de Marie est admirablement orné. »
— Ce ne peut être dans la Bible, précisa Farag en se frottant les tempes. Je ne me souviens d’aucun passage où l’on parle d’un tel lieu.
— Je suis presque certaine qu’il s’agit d’un extrait de l’Évangile de Luc, légèrement modifié. Mais je suppose qu’ils nous donnent une piste.
— Nous l’étudierons à notre retour au Vatican, déclara le capitaine.
— Oui, c’est de Luc, j’en suis sûre, dis-je, fière de ma bonne mémoire. Je ne saurais dire quel chapitre ni quel verset, mais c’est au moment où Jésus prédit la destruction du Temple et les futures persécutions des chrétiens.
— En fait, quand Luc écrivit ces prophéties qu’il mit dans la bouche de Jésus, c’est-à-dire entre les années 80 et 90 de notre ère, ces événements s’étaient déjà produits. Jésus ne prédit rien du tout.
Je le regardai froidement.
— Cela ne me paraît pas un commentaire approprié, Farag.
— Je suis désolé, Ottavia, je pensais que tu le savais.
— Je le savais, répondis-je, fâchée, mais pourquoi le rappeler ?
— Eh bien… J’ai toujours pensé qu’il est bon de connaître la vérité.
Le capitaine, sans entrer dans notre discussion, se leva, prit son sac, l’accrocha à son épaule et s’avança dans le couloir qui conduisait vers la sortie.
— Si la vérité blesse, Farag, répliquai-je, pleine de rage, en pensant à Ferma, Margherita, Valeria et tant d’autres, il n’est pas utile de la connaître.
— Nos opinions divergent sur ce point, Ottavia. La vérité est toujours préférable au mensonge.
— Même si elle offense ?
— Cela dépend de chacun. Il y a certains malades à qui l’on ne peut dire la nature de leur mal, et d’autres pourtant qui exigent d’en connaître l’étendue. (Il me regarda fixement.) Je croyais que tu faisais partie de ces gens.
— Professeurs, la sortie ! cria le capitaine qui s’était éloigné.
— Suivons-le si nous ne voulons pas rester ici pour toujours ! m’exclamai-je en m’élançant dans le couloir.
Nous remontâmes à la surface à travers un puits à sec situé au milieu de monts sauvages. Il commençait à faire nuit, le froid tombait et nous n’avions pas la moindre idée de l’endroit où nous nous trouvions. Nous marchâmes pendant deux heures en suivant le cours d’une rivière qui coulait dans un étroit canyon, pour tomber enfin sur un chemin rural qui nous conduisit à une maison privée dont l’aimable propriétaire, habitué à recevoir des randonneurs égarés, nous informa que nous nous trouvions dans le val d’Anapo, à quelque dix kilomètres de Syracuse, et que nous venions de parcourir les monts Iblei. Peu de temps après, un véhicule de l’archevêché vint nous chercher et nous ramena à la civilisation. Nous ne pouvions rien raconter à Son Excellence, aussi, après un dîner frugal, nous prîmes nos bagages et partîmes à toute vitesse pour l’aéroport de Fontanarossa, à cinquante kilomètres, prendre le premier vol en direction de Rome.
Je me souviens que dans l’avion, tandis que nous attachions nos ceintures, je pensai soudain au sacristain de Sainte-Lucie, en me demandant ce qu’on lui avait raconté pour le tranquilliser. Je voulus en parler avec le capitaine mais, en me tournant vers lui, découvris qu’il était déjà profondément endormi.
4
Quand j’ouvris les yeux le lendemain, bien avant l’aube, je me sentis comme ces voyageurs en plein décalage horaire qui, sans bien comprendre le phénomène, perdent un jour de leur vie à cause de la rotation de la Terre. Bien qu’allongée sur le lit de la chambre de la Domus, je me sentais si fatiguée que j’avais l’impression de ne pas avoir dormi du tout. Dans le silence, en observant les silhouettes que la faible lumière de la rue dessinait sur les murs autour de moi, je me demandai encore dans quel pétrin je m’étais fourrée, ce qui se passait, et pourquoi ma vie semblait se déconstruire de cette manière : j’avais été sur le point de mourir quelques heures plus tôt à peine, dans les profondeurs de la terre. Le décès de mon père et celui de mon frère paraissaient un souvenir lointain et, comme si cela ne suffisait pas, je n’avais pas renouvelé mes vœux.
Comment pouvais-je tout assimiler en vivant à ce rythme trépidant, auquel je n’étais pas du
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