Le dernier royaume
cavaliers saxons qui achevaient
de massacrer les derniers fourrageurs. Quelques ennemis tombèrent sous nos
flèches, mais ni les Danes ni les Angles n’avaient beaucoup d’archers. J’aime
les archers. Ils peuvent tuer de très loin et, même si leurs traits ne font pas
mouche, ils déroutent l’ennemi. Marcher sous des flèches, c’est avancer à
l’aveuglette, car il faut garder la tête baissée sous le rebord du bouclier.
Tirer à l’arc est un grand art. Cela paraît facile, et tous les enfants ont un
arc et des flèches. Mais un arc de guerrier, capable de tuer un étalon à cent
pas, est une arme énorme, sculptée dans l’if, exigeant pour la manier grande
force et long entraînement. C’est pourquoi nous n’avions que peu d’archers.
Moi-même, je n’ai jamais maîtrisé cet art. Avec une lance, une hache ou une
épée, j’étais redoutable, mais avec un arc, j’étais comme la plupart :
inutile.
Je me demande parfois pourquoi nous n’avons pas choisi de
rester derrière notre rempart. Il était presque terminé, et pour l’atteindre,
l’ennemi aurait dû traverser le fossé ou emprunter les quatre ponts sous un
déluge de flèches, javelots et haches. Il aurait certainement échoué, mais nous
aurions été assiégés… Ragnar décida donc de les attaquer. Pendant qu’il
rassemblait ses hommes à la porte du nord, Halfdan faisait de même au sud.
Quand ils jugèrent avoir assez de soldats, alors que l’infanterie ennemie était
encore à deux cents pas de là, Ragnar donna le signal de la sortie.
L’armée saxonne, sous sa grande bannière au dragon, avançait
vers les ponts centraux, pensant manifestement que le massacre n’était qu’un
avant-goût d’une immense boucherie. Elle n’avait pas d’échelles et j’ignore
comment elle s’imaginait pouvoir franchir ce mur, mais il règne dans les
batailles une sorte de folie et les hommes agissent parfois sans réfléchir. Les
soldats du Wessex n’avaient aucune raison de se concentrer sur le centre de
notre rempart, notamment parce qu’ils n’avaient aucune chance de le franchir.
C’est pourtant ce qu’ils firent. Et nos hommes surgirent en masse des deux
portes situées de part et d’autre pour les attaquer.
— Le mur de boucliers ! rugit Ragnar. Le
mur !
Un mur de boucliers en formation, cela s’entend. Les
meilleurs sont faits de tilleul ou de saule et s’entrechoquent tandis qu’on les
assemble, côté gauche par-dessus le côté droit du voisin. Ainsi, l’ennemi doit
percer deux couches de bois.
— Bien serré ! cria Ragnar.
Il était au centre du mur de boucliers, devant l’aile
d’aigle dépenaillée qui était son insigne. Il était l’un des rares à porter un
casque de prix, ce qui le désignait à l’ennemi comme un chef, un homme à
abattre. C’était celui qu’il avait pris à mon père, le splendide casque forgé
par Ealdwulf avec son heaume incrusté d’argent. Il était aussi l’un des seuls à
porter une cotte de mailles : la plupart des soldats, ne pouvant s’offrir
un tel trésor, étaient vêtus de cuir.
Je vis un groupe de cavaliers galoper sous la bannière au
dragon. Il me sembla apercevoir la tignasse rousse de Beocca parmi eux et je
fus certain qu’Alfred était là, probablement entouré d’une horde de prêtres en
froc noir qui priaient pour notre extermination.
Le mur saxon était non seulement plus long que le nôtre mais
aussi plus épais, car soutenu par cinq ou six rangs de soldats, alors que nous
n’en avions que trois. Le bon sens aurait voulu que nous ne bougions pas et les
laissions attaquer, ou que nous nous retirions derrière le fossé. Mais d’autres
Danes accouraient pour renforcer nos rangs, et Ragnar lui-même n’était pas
d’humeur à réfléchir.
— Tuez-les ! cria-t-il. Tuez-les !
Il s’élança en avant et, sans attendre, les Danes poussèrent
leur cri de guerre et se précipitèrent. En général, les murs de boucliers
restent des heures à s’observer, s’insulter et se menacer tout en rassemblant
leur courage pour affronter le plus affreux moment, celui où bois et acier
s’entrechoquent, mais le sang de Ragnar bouillait.
Cette attaque était déraisonnable, mais il était furieux.
Offensé par la victoire d’Æthelwulf et insulté par le massacre de nos
fourrageurs. Sa fureur gagna ses hommes, qui poussèrent un hurlement en
s’élançant.
Les soldats m’avaient repoussé tout à l’arrière, mais je
continuai d’avancer
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