Le dernier royaume
avec eux, suivi de Brida, qui arborait un sourire mauvais.
Je lui dis de retourner en ville, mais elle se contenta de me tirer la langue.
À cet instant, j’entendis le fracas de tonnerre des boucliers qui se
fracassaient les uns contre les autres, puis celui des lances cognant sur le
bois, et celui de l’acier sur l’acier. Je ne pus rien voir, car j’étais trop
petit, mais le choc fit reculer les hommes, qui aussitôt s’élancèrent de
nouveau pour forcer le barrage des Saxons.
La véritable bataille avait lieu devant moi, dans un fracas
de métal et de bois, entrecoupé des cris soudains et des gémissements des
blessés. Brida se mit à quatre pattes et se faufila entre les jambes des
soldats. Je la vis porter sa lance sous les boucliers et viser la cheville d’un
Saxon. L’homme trébucha, lâcha sa hache, et une brèche s’ouvrit dans les rangs
ennemis. Nos hommes s’y précipitèrent et je les suivis, usant de
Souffle-de-Serpent comme d’une lance pour porter des coups aux jambes. Ragnar
poussa un rugissement à réveiller les dieux dans leur céleste demeure d’Asgard,
et son cri redoubla les efforts des hommes. Épées et haches tournoyèrent et je
sentis l’ennemi battre en retraite devant la rage des Norois.
L’herbe était souillée de tant de sang qu’elle en était
glissante, et notre mur de boucliers dut enjamber les cadavres pour avancer,
nous laissant à l’arrière, Brida et moi. Elle avait les mains rougies par le
sang qui avait coulé le long de sa lance. Elle le lécha en me faisant son
sourire de renarde. À présent, les hommes d’Halfdan attaquaient l’ennemi de
l’autre côté. Cependant, un homme de haute taille et à la puissante carrure
nous tenait tête. Il portait une cotte de mailles, un ceinturon en cuir rouge
et un casque encore plus glorieux que celui de Ragnar : le sien était surmonté
d’un ours d’argent et je songeai un instant que c’était peut-être le roi
Æthelred en personne, mais il était trop grand. Ragnar lui décocha un coup
d’estoc, et l’autre para de son bouclier et riposta de son épée. Ragnar esquiva
et projeta son bouclier en avant. L’homme recula, trébucha sur un cadavre.
Ragnar abattit son épée comme pour tuer un bœuf, et la lame s’enfonça dans la
cotte de mailles alors qu’un groupe de Saxons accouraient pour sauver leur
chef.
Ils furent arrêtés par les boucliers des nôtres et Ragnar,
avec un cri de victoire, acheva sa victime. Soudain, plus aucun Saxon ne
résista. L’armée était en déroute, et le roi et le prince éperonnaient leurs
chevaux et s’enfuyaient, suivis de leurs prêtres, tandis que nous les traitions
de femmelettes et de lâches.
Nous pûmes enfin reprendre notre souffle dans cette mare de
sang et de cadavres mêlés. C’est alors que Ragnar nous reconnut, Brida et moi,
et éclata de rire.
— Que faites-vous là, vous deux ?
Pour toute réponse, Brida brandit sa lance ensanglantée et
Ragnar vit la pointe rougie de Souffle-de-Serpent.
— Jeunes sots, dit-il affectueusement. (À cet instant,
l’un de nos hommes amena un prisonnier saxon auprès de l’adversaire tué par
Ragnar.) Qui est cet homme ? demanda-t-il.
— C’est le seigneur Æthelwulf, répondit l’homme en se
signant.
Je restai coi.
— Qu’a-t-il dit ? me demanda Ragnar.
— C’est mon oncle, traduisis-je. Le frère de ma mère.
Æthelwulf de Mercie.
Rien ne prouvait que c’était le frère de ma mère :
peut-être y avait-il d’autres Æthelwulf en Mercie, mais j’étais certain que
c’était mon oncle, celui qui avait remporté la victoire sur les jarls Sidroc.
Ragnar, sa défaite vengée, poussa un cri de joie tandis que je contemplais le
visage du mort. C’était un inconnu pour moi, alors pourquoi étais-je
triste ? Il avait un visage étroit, une barbe blonde et une moustache
taillée. Je le trouvai bel homme, il faisait partie de ma famille et je
ressentais une étrange mélancolie, car je ne me connaissais nulle famille en
dehors de Ragnar, Ravn, Rorik et Brida.
Ragnar fit ôter l’armure d’Æthelwulf et prit son précieux
casque, puis, comme l’ealdorman s’était si bravement battu, il remit son épée
dans sa main, pour que les dieux emportent son âme de Mercien dans la grande
salle où les braves festoient avec Odin.
Et peut-être les Walkyries prirent-elles son âme, car le
lendemain matin, lorsque nous sortîmes enterrer les morts, le corps de
l’ealdorman Æthelwulf avait
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