Le dernier royaume
ne pouvions nous approvisionner en grain, paille et
bétail. Nous avions apporté des tonneaux d’ale et de grandes quantités de
farine, viande salée et poisson séché, mais ces impressionnantes réserves
filaient à une vitesse étonnante.
Les poètes, quand ils narrent la guerre, évoquent les murs
de boucliers, les lances et flèches qui volent, les épées qui frappent les
boucliers, les héros qui tombent et les dépouilles de la victoire, mais je
devais découvrir que ce sont les vivres qui comptent le plus. L’armée
victorieuse est celle qui mange. Deux jours tout juste après l’arrivée de
l’armée de terre à Readingum, nous étions à court de vivres. Les deux Sidroc,
père et fils, partirent en expédition à l’ouest en territoire ennemi. Ils
cherchaient des réserves pour les hommes et chevaux, mais c’est la fyrd de Berrocscire qu’ils trouvèrent.
Nous apprîmes par la suite que notre attaque en plein hiver
n’avait pas du tout surpris les Saxons. Les Danes étaient des maîtres en
matière d’espionnage, mais les Saxons aussi disposaient d’éclaireurs à Lundene et
ils avaient préparé leur armée. Ils avaient aussi demandé le renfort de la
Mercie du Sud. Leur fyrd était conduite par un ealdorman du nom
d’Æthelwulf.
Était-ce mon oncle ? Bien des hommes se nommaient
ainsi, mais combien étaient ealdormen en Mercie ? J’avoue qu’entendre ce
nom suscita en moi un sentiment étrange. Je pensai à ma mère que je n’avais
jamais connue. Je l’imaginais comme une femme toujours bonne, gentille,
aimante. Elle devait m’observer de quelque part, du Ciel ou du
Lindisfarena ; comme elle devait m’en vouloir de faire partie de l’armée
qui marchait sur son frère, c’est dans une humeur sombre que je passai la nuit.
Mais il en fut de même pour tous, car mon oncle, si c’était
bien lui, avait défait deux jarls. L’expédition était tombée dans une embuscade
et les Angles avaient tué vingt et un Danes et fait huit prisonniers. Les
Danes, qui s’attendaient à vaincre, étaient revenus sans rapporter les vivres
dont nous avions besoin.
Nous ne connaissions pas encore la famine, mais les chevaux
manquaient cruellement de paille. Le lendemain, Brida, Rorik et moi étions
affairés à faucher à l’aide de longs couteaux et à remplir des sacs de cette
piètre nourriture, lorsque l’armée du Wessex arriva.
Encouragée par la victoire d’Æthelwulf, elle était à présent
au grand complet pour attaquer Readingum. Je fus alerté par des cris dans le
lointain, puis je vis des cavaliers se précipiter sur notre petit groupe de
fourrageurs et le décimer à coups de lances et de haches. Nous prîmes tous
trois nos jambes à notre cou. Entendant le bruit des sabots derrière moi, je me
retournai et vis un cavalier s’élancer sur nous en brandissant une lance. L’un
de nous allait mourir. J’attrapai Brida par la main pour l’écarter, mais au
même instant une flèche décochée des remparts de Readingum atteignit l’homme en
plein visage. Il fut projeté en arrière, la joue ruisselant de sang. Brida,
Rorik et moi traversâmes le fossé en pataugeant et en nageant, et deux hommes
nous hissèrent de l’autre côté, trempés et couverts de boue.
À présent, le chaos régnait. Les fourrageurs, coincés de
l’autre côté du fossé, se faisaient massacrer à coups de hache, puis
l’infanterie du Wessex fit son apparition, sortant des forêts, rang après rang,
envahissant les champs. Je courus à notre logis, sortis Souffle-de-Serpent de
sa cachette, la ceignis et partis avec Brida en quête de Ragnar. Nous le
trouvâmes au nord, près du pont de la Temse.
— Tu n’aurais pas dû venir, dis-je à Brida. Il fallait
rester avec Rorik.
C’était le plus jeune d’entre nous. Après notre traversée du
fossé, il avait commencé à frissonner et je l’avais laissé.
Brida ne m’écoutait pas. Elle s’était armée d’un javelot et
semblait tout excitée, alors qu’il ne se passait rien encore. Ragnar scrutait
les alentours depuis les remparts, et des hommes se rassemblaient à la porte,
mais Ragnar ne l’ouvrit pas pour traverser le pont. Il compta les guerriers
dont il disposait.
— Boucliers ! cria-t-il, car dans leur hâte ils
étaient accourus seulement armés d’épées et de haches.
Je n’en avais pas non plus, mais je n’étais pas censé me
trouver là, et d’ailleurs Ragnar ne m’avait pas vu.
Ce qu’il voyait, c’était les
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