Le dernier templier

mieux l’étudier.
    — Tu as des doutes ?
    — Et vous ?
    Elle se rendit compte du tremblement dans sa voix et constata que Vance l’avait aussi remarqué.
    — Ce que nous faisons ici, ce que nous pourrions trouver... est-ce que ça ne vous inquiète pas un peu ? insista-t-elle.
    — M’inquiéter ?
    — Vous savez ce que je veux dire. Est-ce que vous avez réfléchi au choc, au chaos que cela pourrait entraîner ?
    Vance se moqua d’elle avec une pointe de dédain.
    — L’homme est une créature misérable, Tess. Il passe son temps à chercher désespérément quelque chose ou quelqu’un à adorer. Et pas seulement à adorer tout seul. Non, il faut que ce soit adoré par tout le monde, partout, à n’importe quel prix. C’est le fléau de son existence depuis l’aube des temps. Et je devrais m’inquiéter à propos de ça ? Je cherche justement à libérer des millions d’individus d’un mensonge. Ce que nous sommes en train de faire, Tess, est une étape naturelle dans l’évolution spirituelle de l’homme. Cela va être le commencement d’un nouvel âge.
    — Vous en parlez comme si cette révélation allait être saluée par des défilés et des feux d’artifice. Mais ce sera l’exact opposé, vous le savez bien. Cela s’est déjà produit par le passé. Des Sassanides aux Incas, l’histoire est pleine de civilisations qui se sont effondrées dès que leurs dieux ont été discrédités.
    Vance demeura impassible.
    — C’étaient des civilisations bâties sur des mensonges, sur du sable mouvant. Comme la nôtre. Mais tu t’inquiètes trop. Les temps ont changé. Le monde d’aujourd’hui est plus complexe que ça.
    — C’étaient les civilisations les plus évoluées de leur époque !
    — Accorde aux pauvres âmes de nos contemporains quelque crédit, Tess. Je ne suis pas en train de dire que ça ne va pas être douloureux, mais ils peuvent le supporter.
    — Et si ce n’est pas le cas ?
    Il écarta les paumes en un geste fataliste, mais il n’y avait rien d’impuissant ni d’ironique dans son ton. Il était sérieux.
    — Ainsi soit-il.
    Les yeux de la jeune femme demeurèrent braqués sur les siens pendant un moment. Puis elle se détourna pour regarder l’horizon. Des volutes de nuages gris semblaient surgir de nulle part. Dans le lointain, des moutons tachetaient une mer d’ordinaire uniforme.
    Vance s’appuya contre le bastingage près d’elle.
    — Tess, j’ai beaucoup réfléchi à ça et, tout bien pesé, je n’ai aucun doute : nous sommes en train de faire ce qui est juste. Au fond de toi, tu sais que j’ai raison.
    Elle ne doutait effectivement pas qu’il avait beaucoup réfléchi à la question. Mais il l’avait toujours considérée d’un mauvais point de vue, à travers le prisme déformé de deux morts tragiques. Avait-il pensé aux conséquences que cela pourrait avoir sur quasiment toutes les âmes vivantes de cette planète ? S’était-il rendu compte que cette découverte pouvait remettre en cause non seulement la foi chrétienne, mais la notion de foi elle-même ? S’était-il demandé comment les ennemis de l’Église allaient s’en emparer ? Comment des millions de croyants allaient perdre le ferment spirituel qui soutenait leur vie ?
    — Ils vont combattre cette découverte, vous le savez, déclara-t-elle, surprise par la pointe d’espoir qu’elle entendait dans sa propre voix. Ils sortiront des experts d’on ne sait où pour la discréditer. Ils utiliseront tout ce qui leur viendra à l’esprit pour prouver que c’est un mensonge. Et étant donné votre passé...
    Elle se sentit soudain mal à l’aise pour aborder ce point.
    Il hocha la tête.
    — Je sais, admit-il. C’est pour ça que je préférerais de beaucoup que ce soit toi qui la présentes au monde.
    Tess sentit le sang quitter son visage. Elle le regarda les yeux écarquillés, décontenancée par sa suggestion.
    — Moi... ?
    — Naturellement. Après tout, c’est autant ta découverte que la mienne et, comme tu l’as dit, puisque mon comportement récent n’a pas été exactement...
    Il marqua une pause en cherchant le terme le plus approprié.
    — ... digne d’éloges...
    Avant d’avoir pu formuler une réponse, elle entendit le bruit des moteurs du gros navire diminuer progressivement. Il décrut jusqu’à un lent ralenti qui finit par se perdre dans la brise.
    Tess vit Rassoulis émerger de la passerelle et, dans les brumes de son