Le dernier templier

fixait l’écran avec la même intensité qu’eux. Sous la frêle lumière du ROV, une saillie se matérialisait. Elle ressemblait à une souche d’arbre couchée, jaillissant d’un monticule. Alors que le robot se rapprochait, ils constatèrent qu’en fait de monticule il s’agissait d’espars. Certains accrochaient dans leur sillage de longs fils d’algues, mais l’imagination de Tess se plaisait à y voir des vestiges de gréements. Bon nombre des pièces étaient courbes, comme les côtes d’une ancienne carcasse. Des siècles de végétation marine les recouvraient.
    Il devait s’agir d’un navire. Un autre, un vieux, en partie dissimulé par l’épave plus récente posée sur lui.
    Le ROV se rapprocha, glissant sur la carcasse désintégrée et incrustée de coraux. Son faisceau de lumière inondait la protubérance de sa lueur blanchâtre.
    Tess sentit soudain l’air se raréfier.
    Là, nichée dans la clarté irréelle du projecteur et saillant du plancher de l’océan comme un défi sauvage, se dressait une figure de proue en forme de faucon.

75
    Dans la timonerie enfiévrée, Rassoulis, Vance et Tess regardaient au-dehors avec une appréhension croissante. Les deux fronts de tempête approchaient. Le vent avait grimpé à trente noeuds. Tout autour du Savarona , la houle se transformait en brisants, l’eau déchaînée devenant aussi menaçante que les inquiétants nuages noirs.
    Sous la passerelle, une petite grue reposait le ROV sur le pont principal. Attal et deux hommes d’équipage bravaient les éléments en attendant de l’attacher.
    Tess repoussa de son visage ses cheveux battus par les vents.
    — On ne devrait pas repartir ? demanda-t-elle à Rassoulis.
    Vance l’interrompit sans une once d’hésitation.
    — Absurde. Il ne fait pas si mauvais. Je suis sûr que nous avons le temps d’envoyer le ROV aller voir encore une fois ce qu’il y a en dessous, sourit-il avec autorité à Rassoulis. Vous n’êtes pas d’accord ?
    Tess observa le capitaine qui étudiait les cieux déchirés plongeant vers eux. Au sud, des éclairs fendaient les nuages et, même à cette distance, on pouvait voir que d’épais voiles de pluie fouettaient la mer.
    — Je n’aime pas ça. Avec un front, on peut se débrouiller, mais deux... On peut se faufiler entre, si nous partons maintenant.
    Il se tourna vers Vance.
    — Ne vous inquiétez pas. Dans le secteur, les tempêtes ne durent jamais très longtemps et notre positionneur GPS est précis au mètre près. Nous reviendrons ici dès que ce sera passé, probablement demain dans la matinée.
    — J’aurais préféré ne pas partir d’ici sans quelque chose, dit le professeur d’un ton calme. Le faucon de la proue, par exemple. Nous avons sûrement le temps de le récupérer.
    À la grimace inquiète de Rassoulis, il fut clair que l’idée ne l’enchantait pas vraiment.
    — J’ai peur que la tempête ne dure plus que vous ne le dites, insista l’universitaire. Et alors, vous allez vous retrouver coincé par votre autre mission. Il pourrait s’écouler des mois avant que nous puissions revenir, et qui sait ce qui se passerait dans l’intervalle ?
    Arborant une mine renfrognée, Rassoulis contemplait les fronts de mauvais temps qui convergeaient, se demandant si le Savarona était en mesure de tenir sur le site du naufrage.
    — Je vous promets que le jeu en vaudra la chandelle pour vous, insista l’Américain. Remontez juste le faucon et j’en aurai fini ici. Vous aurez tout le reste, tout ce que vous pourrez trouver en bas.
    Rassoulis leva un sourcil intrigué.
    — C’est tout ce que vous voulez ? Le faucon ?
    Tess les observa et eut soudain l’impression de contempler une partie de poker.
    — Pourquoi ? demanda le Grec.
    Vance haussa les épaules. Son expression devint distante.
    — C’est personnel. Appelez ça une question de... boucle refermée.
    Son regard se durcit en se reposant sur Rassoulis.
    — Nous perdons du temps. Je suis certain que nous pouvons le faire si nous agissons vite. Ensuite, tout le reste sera à vous.
    Le capitaine parut étudier les différentes possibilités pendant quelques secondes. Puis il hocha la tête et s’éloigna pour aller lancer des ordres à Attal et aux autres hommes d’équipage.
    Vance se tourna vers Tess. Son visage tremblait nerveusement.
    — Presque, murmura-t-il, la voix chevrotante. Nous y sommes presque.
    — On est encore loin ? hurla De Angelis au