Le dernier templier

ajouta :
    — Discrètement !
    — Pas de problème. C’est l’un des avantages de la guerre au terrorisme. Nous fonctionnons tous sur un mode de partage généreux des bases de données. Dites-moi simplement ce dont vous avez besoin.

32
    Après avoir quitté l’une des nombreuses artères goudronnées du cimetière, Tess remontait maintenant une allée de gravier.
    Il était à peine huit heures du matin. Les premières fleurs printanières s’épanouissaient autour des pierres tombales. Partout, l’herbe coupée rase était encore humide de la pluie de la nuit. En raison de la remontée de la température, une brume s’immisçait entre les tombes et les arbres.
    Au-dessus de sa tête, une perruche moine s’envola, brisant de son cri entêtant le calme serein du lieu. En dépit des quelques degrés de plus et de son manteau, Tess frissonna en s’enfonçant un peu plus dans le cimetière. Déjà, dans des conditions optimales, un lieu comme celui-là la mettait mal à l’aise. Sa présence ici, au milieu de cette nécropole, la fit soudain songer à son père. Depuis combien de temps n’était-elle pas allée sur sa tombe ?
    Un peu plus loin, elle s’arrêta et consulta le plan qu’elle avait dessiné dans le kiosque de la monumentale entrée gothique. Elle pensait jusque-là se diriger dans la bonne direction, mais maintenant, elle n’en était plus sûre. Le cimetière s’étendait sur plus de deux cents hectares et il était facile de s’y perdre, surtout à pied. Elle avait pris le métro depuis le centre de la ville jusqu’à la station de la 25 e Rue à Brooklyn. Ensuite, elle avait marché vers l’est, à une rue de là, et elle était entrée dans le cimetière par la porte principale.
    Tournant sur elle-même, Tess tenta de se repérer. Elle commençait à se dire qu’elle n’avait pas eu une bonne idée en venant. Elle se trouvait dans une situation sans issue. Si Vance était ici, elle allait tomber très mal au milieu d’un moment intime. Et, s’il ne se montrait pas, sa promenade n’aurait été qu’une perte de temps.
    Au point où elle en était, elle préféra refouler ses doutes et poursuivre sa marche. Elle était à présent dans une partie plus ancienne du cimetière. Alors qu’elle passait devant une tombe surmontée d’un ange de granit, elle entendit un son venant de sa droite. Effrayée, elle scruta le brouillard, mais ne put entrevoir que les formes sombres et mouvantes des arbres. Elle accéléra le pas. Mètre après mètre, elle s’enfonçait plus profondément dans les recoins de la nécropole.
    Consultant une nouvelle fois le plan, elle constata qu’elle était maintenant tout près. Désormais certaine de l’endroit, elle décida de prendre un raccourci par un tertre et allongea le pas sur l’herbe glissante. Malencontreusement, elle trébucha sur une bordure de pierres en ruine. Pour ne pas tomber, elle se rattrapa de justesse à une borne décrépie.
    C’est alors qu’elle l’aperçut.
    Il se tenait à cinquante mètres devant elle, seul, planté devant une pierre tombale. Un bouquet d’oeillets, rouge sombre, était posé devant la stèle. L’universitaire avait la tête baissée. Une Volvo grise était garée dans l’allée derrière lui.
    Tess attendit un moment avant d’oser s’approcher. Elle marcha lentement dans sa direction. Parvenue à proximité de la stèle, elle put lire les mots gravés dessus : « Vance » et « Martha ». Tess n’était plus qu’à trois mètres de lui. Il ne s’était pas encore retourné.
    — Professeur Vance, risqua-t-elle avec hésitation.
    Il resta immobile un moment, avant de pivoter vers l’intruse.
    La jeune femme faisait face à un homme métamorphosé.
    Ce n’était plus le sémillant Bill Vance qu’elle avait connu. Son épaisse chevelure argentée encadrait un visage décharné. Bien qu’il fut encore grand et élancé, sa carrure d’athlète avait fondu. Il avait même les épaules légèrement voûtées. Ses mains disparaissaient au fond des poches de sa veste. Il portait un pardessus sombre au col remonté. Tess nota que les poignets étaient très usés et comportaient une ou deux taches.
    Elle se sentit coupable d’avoir remarqué ces détails. Toute l’allure de Vance était pitoyable ; il était évident qu’il occupait une position bien en deçà de celle dont il avait joui. Si elle l’avait croisé dans la rue, une décennie après leur dernière rencontre, elle ne