Le dernier vol du faucon
contenir sa colère comme elle lui avait appris à le faire il y avait déjà longtemps?
Ne sachant que faire, elle se leva, hésitante, et le regarda. Que s'était-il donc passé? Le visage de son bien-aimé semblait plus jeune et ses cheveux plus bouclés. Une terreur superstitieuse s'empara d'elle. Oh ! Seigneur Bouddha, viens à notre secours ! Était-ce le premier signe du destin qui les menaçait? Lui était-il donné d'apercevoir précocement l'image de sa renaissance ?
Mark la fixait, figé sur place. Il n'avait jamais vu une femme aussi splendide. Elle ressemblait à une statue avec ses formes voluptueuses, son visage aux traits fins rehaussé par de hautes pommettes ciselées, ses grands yeux en amande qui le contemplaient, terrifiés. Voyant qu'elle tremblait comme une feuille, il s'avança pour lui toucher le bras afin de la réconforter. Elle sursauta comme un animal apeuré.
«Je vous en prie, parlez-moi, qui que vous soyez... » implora Sunida.
Mark comprenait déjà assez bien le siamois. Son application au travail et ses dons naturels pour les langues avaient porté leurs fruits. «Je m'appelle Mark Tucker. Je vous en prie... n'ayez pas peur. » Il lui sourit et vit qu'elle se détendait un peu.
«Muk Tuka?» répéta-t-elle laborieusement en s'ef-forçant de prononcer son nom comme lui.
Il sourit à nouveau. «C'est déjà mieux.»
Sunida l'examinait d'un œil pénétrant. Pour un fantôme, il avait l'air plutôt amical. Lentement, rassemblant tout son courage, elle tendit la main vers lui. Il fit de même et leurs doigts s'effleurèrent brièvement. En sentant le contact chaud de sa peau contre la sienne, elle recula vivement son bras.
Ce fantôme avait quelque chose d'humain... «Qui êtes-vous?» souffla-t-elle en le dévorant des yeux.
Il ne pouvait supporter de la voir aussi troublée. «Je suis le fils du seigneur Phaulkon.
- Le fils du seigneur Phaulkon ? » répéta-t-elle, abasourdie.
Comme il était étrange que son maître n'ait jamais mentionné son existence. Pourtant, ils n'avaient guère de secrets entre eux.
Bien qu'elle sût qu'il était incorrect de poser une autre question, sa curiosité l'emporta. «Et qui est votre honorable mère, je vous prie ? »
Il sourit. « Une dame anglaise. »
Oh ! miséricordieux Bouddha, songea Sunida. Mais qui donc, alors, était l'épouse principale du Barca-lon? La dame anglaise ou dame Maria? Un homme ne pouvait avoir deux premières épouses.
« Et vous ? Qui êtes-vous ? » interrogea-t-il.
Elle hésita. «Je m'appelle Sunida.
- Êtes-vous une amie de mon père ? »
Subjugué par la beauté de la jeune femme, il restait planté là, à la dévorer des yeux.
Sunida réfléchit rapidement. Devait-elle révéler son identité? Elle n'avait pas à en avoir honte. Biin au contraire même, elle avait tout lieu d'être fière de sa position. Mais, avec ces farangs, mieux valait se montrer prudente. Ils avaient parfois d'étranges idées. Le garçon était très jeune et très beau, et son regard ardent exprimait un peu plus que de la simple cur o-sité. Il était peut-être préférable de se présenter av£ nt qu'il n'y ait quelque malheureux malentendu.
«Je suis la seconde épouse de votre honorable père. »
Ce fut au tour de Mark de sursauter. Elle vit pisser sur son visage une expression de regret. C'était étonnant de constater à quel point il ressemblai à Vichaiyen. La première surprise passée, elle fut triste à l'idée que son maître ne lui eût jamais parlé de lui. Pourquoi avait-il dissimulé l'existence de cet enfant? Il aurait dû, au contraire, s'enorgueillir d'avoir un fils premier-né. Mais alors... pourquoi répétait-il eue Supinda était son premier enfant?
Non que Sunida se sentît le moins du monde jalouse. Simplement, elle était triste qu'il n'ait pas jugé bon de se confier à elle. Mais peut-être avait-il pour cela i ne bonne raison. Elle espéra qu'il ne serait pas fâché de ce qu'elle venait de découvrir.
Mark continuait à la regarder, hypnotisé. « Mon père a-t-il encore d'autres épouses ? » demanda-t-il à brille-pourpoint.
Sunida eut un sourire réservé. «Vous le lui demanderez. »
Il prit une profonde inspiration et balbutia: «Vous... vous êtes... très belle. »
Sunida baissa les yeux. « Merci. »
Il y eut un silence.
«Je suis venue voir votre honorable père, reprit-elle. Sera-t-il bientôt de retour?
- Il aime se promener de bon matin le long du fleuve pour contempler
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