Le dernier vol du faucon
réveiller sa sœur. Il ne voulait pas que quelqu'un s'interpose dans le cours de ses pensées et il savait qu'elle insisterait immédiatement pour aller chercher le docteur farang qui dormait dans la pièce à côté. Il aimait beaucoup le petit jésuite mais, pour l 'instant, il devait prendre certaines décisions pendant que son esprit était clair. Qui pouvait dire combien de temps cette clarté de pensée durerait ?
Sunida suivit le garde en direction des appartements royaux, son cœur battant à tout rompre. Il y avait si longtemps que le Seigneur de la Vie ne l'avait fait appeler! Lui... le Chakravatin maître du monde, l'incarnation des dieux sur cette terre...
Elle vit les deux eunuques postés à l'entrée échanger des sourires amusés en la voyant approcher. Ils devaient s'étonner que le Seigneur de la Vie réclame les services d'une concubine à pareille heure. Peut-être se sentait-il mieux? Le fait que Sunida était la maîtresse de Vichaiyen et non du roi était un secret bien gardé, et les rares personnes connaissant la vérité avaient dû prêter serment de ne jamais la révéler, sous peine de mort.
Terriblement intimidée, Sunida atteignit la porte de la chambre royale et tomba le front contre terre. C'était seulement la troisième fois qu'elle se retrouvait en présence du Seigneur de la Vie et elle ne l'avait jamais rencontré jusqu'ici dans sa chambre à coucher privée.
Immobile, la tête enfouie dans l'épais tapis persan, elle attendit. Comme dans un rêve, elle entendit la voix du roi qui s'adressait à elle. Il parlait d'un ton calme, apaisant.
«Approche, petite souris. Viens tout près de moi.»
Sunida se traîna sur les coudes et les genoux jus-qu'au bord du lit, essayant tant bien que mal de réprimer ses tremblements.
«Plus près encore», l'encouragea la voix.
Violemment émue, elle s'approcha tout doucement sachant que le protocole séculaire interdisait à quiconque de se tenir aussi près du Maître de la Vie. Elle s'attendait à ce que l'ordre de s'arrêter tombe à tout moment, mais il ne vint pas et, sans qu'elle s'en soit rendu compte, elle sentit soudain la présence du roi juste au-dessus d'elle. La respiration du vieux monarque était sifflante, laborieuse, elle la sentait sur son visage comme un souffle d'air déplacé par un éventail. Du coin de l'œil, elle aperçut la princesse royale, accroupie contre le mur, et plusieurs esclaves féminines prosternées près d'elle. Malgré l'heure matinale, elle constata que toutes étaient bien réveillées et observaient discrètement la scène avec un vif intérêt.
Soudain une main se posa sur son épaule. Un frisson la secoua. Le roi l'avait touchée! Elle en ressentit à la fois de la fierté et une terreur sacrée.
«C'est un temps d'épreuves, petite souris, et des traîtres ont profité de notre mauvaise santé. Mais ils nous ont incité à nous accrocher à la vie avec une vigueur renouvelée, afin de ne pas les laisser mener à bien leurs vils projets. »
Sunida sentit son estomac se nouer. D'étranges rumeurs circulaient dans le quartier des femmes. On racontait même que l'ordre avait été donné d'arrêter le général Petraja. Cela semblait inconcevable. Le Maître de la Vie évoquait-il cette situation? Sa première pensée fut pour la sécurité de son amant, Vichaiyen. N'avait-il pas évoqué, lui aussi, des temps incertains? Et que dire de la terrible prédiction de mère Somkit? C'était une pensée insupportable. Un nouveau frisson la parcourut. La main du roi tapota doucement son épaule et, à ce seul contact, elle fut rassérénée.
«Toi, petite souris, tu seras notre envoyée spéciale. Nous allons te donner une escorte et tout l'argent nécessaire. Tu vas rassembler les vêtements dont tu as besoin et partir pour Ayuthia. Nous chargerons les nurses royales de prendre soin de ton enfant. Là-bas, tu te rendras au Palais et tu demanderas à notre fille Yotatep de revenir vers nous. Tu lui diras que son père lui pardonne et qu'il a des choses importantes à lui révéler avant sa mort prochaine. »
Sunida ravala ses larmes à la pensée que le Seigneur de la Vie allait les quitter pour toujours.
« Auguste et Puissant Seigneur, je reçois vos ordres », réussit-elle à murmurer tant bien que mal.
Elle rampa à reculons, le cœur plein d'amour et de tristesse pour son maître, le Seigneur de la Vie.
À peine avait-elle regagné ses appartements qu'elle remplit un petit sac de coton de
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