Le dernier vol du faucon
demandes d'habitude pour tes bons services. Après tout, toi et mon père êtes de vieux amis. »
Tout en marmonnant des prières angoissées, le vieux scribe rassembla son matériel et s'assit près de la fenêtre, jambes croisées. Sorasak commença à dicter.
Lorsqu'il réalisa pleinement ce qu'il était en train d'écrire, le vieillard se mit à transpirer et déposa sa plume. Sorasak se dressa au-dessus de lui d'un air menaçant. Ses cuisses musclées étaient presque aussi larges que la poitrine haletante de son interlocuteur.
«Continue d'écrire! aboya-t-il.
- Mais... protesta le scribe en tremblant de tous ses membres, on pourrait me mettre à mort pour cela !
- Un sort sûrement plus agréable que d'être la cible de mon courroux, vieil homme ! » Les yeux de Sorasak jetaient des éclairs. «Nous ne manquons pas de scribes dans cette ville, crois-moi. Pourquoi es-tu aussi lâche? Le général Petraja m'a assuré que ce travail n'entraînera pour toi aucune conséquence. Je triplerai la somme et tout sera fini. A présent, remets-toi au travail ! »
Le vieillard lui jeta un regard implorant mais, devant l'expression inflexible de Sorasak, il se résigna et haussa les épaules. « Si cela doit être ma dernière lettre, qu'il en soit ainsi.
- Rassure-toi, lança Sorasak avec un sourire arrogant. Tu en écriras encore bien d'autres... »
Lentement, il continua à dicter et le vieil homme s'absorba dans son travail mais, quand il lui fallut imiter le sceau du Barcalon à la fin de la lettre, ses scrupules resurgirent en force. Ses doigts tremblaient si violemment qu'ils ne pouvaient plus tenir sa plume. Sorasak ne lui accorda pas de répit. Usant à la fois de la menace et de la promesse d'argent supplémentaire, il réussit à galvaniser le courage du scribe jusqu'à ce que tout fût terminé.
« A présent, écris cette phrase au-dessous du sceau - la dernière. Applique-toi, c'est important. »
Le vieillard s'efforça de retrouver son calme. Quand sa main fut plus ferme, Sorasak dicta les derniers mots de la lettre. Puis il examina le document et sourit, satisfait. L'écriture du Barcalon et son sceau avaient été parfaitement imités.
«Tes talents n'ont pas diminué avec l'âge, vieil homme. Il se peut que j'aie encore besoin de toi à l'avenir. Seuls tes bavardages pourraient te nuire. Inutile, donc, de te recommander le silence. »
Le scribe le regarda partir et soupira, à demi rassuré par la haute pile de pièces de monnaie posée devant lui.
Le Seigneur de la Vie reprit conscience une heure avant l'aube. Il s'assit dans son lit et regarda autour de lui, une expression de confusion sur le visage, tandis que des pensées contradictoires se livraient bataille dans son esprit. Il avait du mal à faire le point après ces longs jours de total abattement. Alors qu'il essayait de mettre de l'ordre dans ce chaos, un fait revenait sans cesse sur le devant de la scène, dominant tous les autres : la trahison de Petraja. Le terrible coup que venait de lui infliger son ami d'enfance le forçait maintenant à reconsidérer tour à tour chacun de ses vieux courtisans. A qui donc pouvait-il encore faire confiance ?
Le roi regarda à nouveau autour de lui. A la lueur d'une chandelle vacillante, il constata que tous étaient endormis : sa sœur, affalée sur une montagne de coussins, et plusieurs esclaves féminines roulées en boule dans les coins de la pièce. Près de la porte, un garde remua et ouvrit un œil. Dès qu'il vit le roi assis, il se prosterna aussitôt. Sur un signe, il s'avança en rampant vers le lit.
«Va chercher dame Sunida, chuchota Sa Majesté pour ne pas éveiller les autres.
- Auguste et Puissant Seigneur, je reçois vos ordres », psalmodia le garde d'une voix étouffée en rampant à reculons.
Sunida était la seule personne dont le roi était absolument sûr et il l'avait toujours tenue en haute estime. Il se rappela comment, à son arrivée dans le Palais, elle lui avait consciencieusement rapporté tous les mouvements de Vichaiyen malgré l'amour qu'elle éprouvait déjà pour lui. En dépit de sévères luttes intérieures, sa loyauté n'avait jamais failli et sa fidélité à la couronne l'avait toujours emporté. Le roi était certain que cette loyauté était toujours aussi solide, aussi solide que l'amour que Sunida portait à Vichaiyen. Il pouvait compter sur elle.
Il s'adossa paisiblement à ses oreillers et demeura parfaitement silencieux, attentif à ne pas
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