Le dernier vol du faucon
soi-même au cours de l'opération. Nellie l'aurait fait pour Mark. Mais le spectre tant abhorré de la misère s'éloignait et Phaulkon sem-blait prêt à leur donner, à elle et à leur fils, tout l'argent qu'ils pouvaient désirer.
La découverte de Sunida avait également joué un rôle essentiel dans cette lente transformation. Nellie était surprise de constater à quel point la fille lui plaisait. Sunida était de cette sorte de femme dont le charme opère aussi bien sur un sexe que sur l'autre. Nellie avait été frappée par son honnêteté, sa rectitude, sa loyauté. Visiblement, Sunida aimait profondément Phaulkon. Un sentiment d'ailleurs partagé, car Phaulkon avait paru fort déçu en apprenant pat-Mark qu'il l'avait manquée lors de sa dernière visite. Il avait aussi promis au garçon d'arranger une rencontre avec la petite Supinda.
Nellie avait pu constater que Mark avait été, lui aussi, très impressionné par Sunida - quoique pour d'autres raisons. La douceur et l'extrême beauté de la jeune Siamoise l'avaient conquis et, plus d'une fois, il avait demandé à son père quand elle reviendrait.
On frappa à la porte et Mark entra dans la pièce, sortant tout juste d'une longue leçon de siamois. Depuis l'apparition de Sunida trois jours plus tôt, l'enthousiasme de l'adolescent pour cette langue n'avait fait que croître. Phaulkon avait raconté à Nellie qu'il avait même prié son professeur de lui enseigner la manière de s'adresser aux femmes selon les meilleures règles de la courtoisie. Il désirait s'informer du statut exact des secondes épouses dans la société siamoise. Devant ce penchant si manifeste de Mark pour la belle Sunida, Phaulkon et Nellie avaient ri ensemble de bon cœur pour la première fois.
« Père pense que Sunida repassera par ici en regagnant le Palais à son retour», dit Mark en s'asper-geant le visage et le cou de l'eau contenue dans le bassin.
Nellie sourit. «J'en suis persuadée, mon chéri.» Elle fit une pause. « Crois-tu que je doive remettre à ton père la lettre établissant un lien entre Somchai et Petraja ? »
Mark parut stupéfait. « Comment ? Vous voulez dire que vous ne l'avez pas encore fait? Alors que père a tant besoin de prouver son innocence ?
- C'est seulement que je dois me montrer prudente. Nous n'avons pas d'autre moyen de pression sur lui.
- Mais pourquoi en avoir un ? » Il lui jeta un regard de reproche. «Vous feriez mieux de lui remettre cette lettre immédiatement. »
Elle aurait voulu pouvoir être aussi sûre de Phaulkon que Mark l'était. Tout au fond de son cœur, les anciennes blessures la faisaient encore souffrir. Si je lui remets ce document, nous nous retrouverons entièrement entre ses mains, songea-t-elle amèrement.
Comme Mark se déshabillait pour prendre son bain, Nellie se glissa au-dehors et partit à la recherche du Barcalon. Elle le trouva dans son bureau, penché sur des documents. Depuis la mort de Somchai, il devenait de plus en plus sombre. Nellie avait appris que la veille, à l'heure du repas, le prisonnier était devenu fou. Il avait tué deux gardes et s'était attaqué à une douzaine d'autres en tentant d'atteindre le portail. Phaulkon ne pouvait blâmer ses soldats d'avoir mis l'homme en pièces mais il ne parvenait toujours pas à comprendre pourquoi Somchai avait agi de la sorte. Il aurait dû savoir, pourtant, qu'il n'avait aucune chance, seul contre un régiment entier de gardes. Cela ressemblait à un suicide.
Courroucé par la manière dont son personnel avait laissé entrer un inconnu dans la cellule de Somchai, Phaulkon avait déjà démis son secrétaire de ses fonctions. D'après la description qui lui avait été faite du visiteur, il soupçonnait de qui il s'agissait.
Nellie toussota pour attirer son attention. «Je suis désolée de vous déranger, Constant. Mais j'ai un document à vous remettre. »
Il leva les yeux pour la regarder. Elle portait un panung d'un vert délicat qui mettait en valeur son épaisse chevelure auburn. Le châle qui pendait négligemment de ses épaules laissait entrevoir une peau blanche et satinée. Les yeux bleu clair de la jeune femme étaient voilés d'une touche de mélancolie. Il la trouva très séduisante et nota que, pour une fois, elle semblait mieux disposée à son égard. Comme si le venin qui la rongeait commençait tout doucement à se dissoudre.
«Je sais combien il était important pour vous d'avoir Somchai comme témoin,
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