Le dernier vol du faucon
l'avenir du pays. Les astrologues de la Cour ont convaincu le roi de t'écar-ter. » Il posa une main sur l'épaule du jeune homme. «Allons, garde ton calme. Je ferai en sorte que tu reçoives la place qui te revient, mais par un chemin détourné.
- Je veux parler au roi. II doit me reconnaître avant de mourir.
- Si tu le fais, fils, je te souhaite bonne chance. N'attends cependant pas trop de cette confrontation. Tu ferais mieux d'employer tes énergies à m'aider, que cela te plaise ou non. Je représente pour toi la voie la plus sûre pour accéder au trône et tes services me sont précieux.» Il sourit. «Ainsi, tu vois, nous avons besoin l'un de l'autre.»
Sorasak le regarda. Peut-être bien que son père adoptif avait raison, finalement. Il devait attendre son heure. Le général ne serait pas éternel. Mais il parlerait au roi malgré tout. Et si cette démarche échouait, il se rangerait au côté de Petraja. Ainsi, il était sûr d'atteindre son but par un moyen ou par un autre.
Petraja lut dans ses pensées.
«Va donc voir le roi pour t'ôter cette idée de la tête. Et reviens ensuite vers moi. Si Somchai est éliminé, les Français vont se dresser contre Vichaiyen et je serai prêt à entrer en action. Aussi dépêche-toi. Mais il y a encore une chose, mon garçon.
- Laquelle?
- Il ne serait pas sage de faire état de mes projets auprès de Sa Majesté. Tout obstacle sur le chemin qui doit m'amener sur le trône jouera aussi contre toi et ton propre avènement. »
25
Un changement était en train de se produire en Nellie. Durant les premiers jours passés dans la demeure de Phaulkon, elle avait mené une vie très réservée, broyant du noir la plupart du temps. Mark avait été sa seule source de joie. Ses yeux brillaient quand on lui parlait de ses succès, et elle était fière de ses dons évidents. Ses progrès rapides en siamois étaient pour elle une cause de fierté et, pour le reste de la maisonnée, d'étonnement joyeux.
Assise dans sa chambre, Nellie s'interrogeait. Ses sentiments à l'égard de Phaulkon avaient évolué. Son ressentiment s'apaisait lentement, et elle se sentait plus tolérante envers lui. Chaque fois qu'elle voyait sur le visage de Mark un sourire heureux, elle sentait naître en elle un élan d'affection pour son ancien amant. La passion vengeresse qui l'animait au début de son voyage s'atténuait peu à peu. Elle ne souhaitait plus, comme avant, la mort de Constant, et commen-çait même à s'intéresser à lui. Mieux informée, à présent, de la situation politique, elle avait pris conscience de la précarité grandissante de sa position et savait combien il avait besoin du soutien de l'armée française.
Il avait délégué Ivatt à Bangkok pour obtenir une aide urgente du général français. L'Anglais était parti trois jours plus tôt et devait ensuite regagner rapidement Louvo après avoir installé à Mergui un gouverneur intérimaire. Manifestement, Phaulkon avait besoin de toute l'aide dont il pouvait disposer.
Nellie n'avait jamais révélé à Mark les conditions du testament de Jack Tucker. Et pourtant... tant pour le bien de son fils que pour le sien propre, elle avait sérieusement envisagé de tuer Phaulkon. Produit d'un esprit tortueux et sadique, les dernières volontés de son mari étaient, hélas, fort claires en la matière. Pendant longtemps, Nellie avait été persuadée qu'elle était obligée de les respecter. La jalousie de Jack était telle qu'il avait voulu, même dans la mort, s'assurer que jamais Constant ne reviendrait dans la vie de sa femme. Il fallait donc qu'il meure lui aussi. Et Jack avait savouré la pensée que ce serait de la main de Nellie. Car il la savait prête à tout pour ne pas retomber dans la pauvreté. Il avait donc fait en sorte qu'elle ne puisse hériter de sa fortune si elle n'apportait pas la preuve de la mort de Phaulkon. Voilà pourquoi elle avait quitté l'Angleterre pour entreprendre ce long voyage vers l'inconnu, poussée par la rancune et le désir d'assurer l'avenir de son fils.
Mais la situation, aujourd'hui, prenait une autre tournure. Elle ne pouvait pas s'en prendre à l'homme que Mark avait manifestement tant de bonheur à appeler son « père ». Les choses auraient été différentes si, comme elle l'avait d'abord supposé, Phaulkon avait refusé de les voir ou de reconnaître Mark. Non qu'il soit difficile de tuer un homme sans méfiance, surtout si l'on était prêt à mourir
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