Le dernier vol du faucon

marionnettes chinoises, tournois de boxe, danses rituelles... C'était un vrai bonheur de contempler ces hommes et ces femmes dont les bras souples ondulaient comme des feuilles sous le vent. Leurs mouvements étaient si parfaitement synchronisés qu'il se dégageait de leurs danses quelque chose d'hypnotique. Plus tard, dans l'intimité de sa chambre, il
    jouissait de ces émoustillants massages dont les Siamoises avaient le secret et qui mêlaient savamment l'érotisme à la relaxation. Après cela, il s'endormait, satisfait et soulagé. Phaulkon était un homme qui comprenait que l'on puisse goûter aux plaisirs de la vie sans se sentir coupable. Il n'avait pas son égal comme hôte.
    «Général, quelle bonne surprise!» Plongé dans ses pensées, il n'avait pas remarqué l'entrée de Maria. Il se mit péniblement debout.
    «Je vous en prie, asseyez-vous, dit-elle aimablement. Il fait si chaud que personne n'a envie de bouger. »
    Il eut l'air embarrassé. «Pardonnez-moi de ne pas vous avoir saluée, comtesse. C'est que j'ai beaucoup de soucis, en ce moment...»
    Elle s'assit à côté de lui, heureuse de s'entendre donner le titre de comtesse. Tous les officiers français l'appelaient ainsi et cela lui plaisait. Bien que mi-japonaise, mi-portugaise, elle n'en était pas moins l'épouse d'un comte de France...
    Elle le regarda aimablement tandis que des esclaves entraient avec des plateaux de rafraîchissements.
    «Je suppose, Général, que vous êtes au courant des rumeurs... »
    Il approuva d'un signe de tête. «Le Siam adore les histoires, Général, et je crois savoir d'où proviennent celles-ci en particulier. - Je serais intéressé de le savoir, comtesse. » Elle eut une expression attristée. « Du monastère de Louvo. De source sûre, j'ai appris que l'astrologue de la Cour a rendu visite plusieurs fois à l'abbé. Ce n'est pas une coïncidence car c'est une vieille connaissance de Petraja. Vous savez probablement que le peuple tient ses prédictions en haute estime. » Elle regarda le général d'un air sévère. «Or il a annoncé que le pays allait connaître de terribles bouleversements. Il a prédit que les Français, et tous ceux qui les soutiennent, seraient chassés du Siam et subiraient de lourdes pertes. » Elle fit une pause. « Pour ma part, je crois que ces prédictions ont été soufflées par Petraja. J'ai
    entendu dire ce matin que, dans tout le pays, les astrologues reprennent le flambeau en insistant sur l'imminence des événements. Rien d'étonnant à ce que la population soit agitée. »
    Le général fronça les sourcils. « Est-il vrai que le roi est mort ? »
    Maria secoua la tête. « Bien que je n'aie eu que de rares communications avec mon mari ces jours derniers, j'aurais certainement été informée d'un événement aussi considérable. »
    Le front du général se creusa de rides profondes. «Au séminaire, j'ai appris que l'on racontait que mon armée tuerait tous ceux qui refuseraient de se faire catholiques. C'est une rumeur absurde.
    - Cela ne me surprend pas. Tout le monde sait déjà que Pra Piya occupera le trône avec votre appui et qu'il se convertira ensuite.»
    Le général eut l'air surpris. «Mais je croyais que Sa Majesté avait elle-même désigné Piya comme successeur? La parole du Seigneur de la Vie n'a-t-elle pas force de loi ? »
    Maria eut un petit sourire triste. « En effet. Mais le problème est que Sa Majesté, dans son état de santé actuel, n'a pas encore pu annoncer publiquement son choix. Et, quand il se sentait mieux, il s'efforçait encore de convaincre Yotatep d'épouser Piya, ce qui aurait grandement renforcé la position de celui-ci. J'ai moi-même tenté de convaincre Yotatep, mais elle est entêtée et reste toujours entichée de son oncle Chao Fa Noi. Il faut que vous compreniez, Général, que la désignation de Piya comme successeur doit être faite sous la forme d'un édit royal. Dans l'état actuel des choses, les choix de Sa Majesté ne sont connus que d'une poignée de courtisans. Et nombre d'entre eux, comme Petraja, ne sont pas prêts à les soutenir. C'est la raison pour laquelle tant de personnes s'agglutinent autour de Chao Fa Noi pour lui offrir leur allégeance.
    - D'après ce que vous me dites, il est indispensable
    que Sa Majesté désigne officiellement Piya comme successeur. Dès maintenant.
    - En effet, Général. J'espère seulement qu'il n'est pas trop tard.
    - Trop tard, comtesse? répéta Desfarges,