Le dernier vol du faucon
Elle a été sa maltresse, Général, et je crains qu'en apprenant le rang élevé qu'il occupait, elle n'ait jugé que c'était le bon moment pour renouer connaissance. »
Les pensées du général se bousculaient. Etait-il possible que Nellie ait conspiré avec Phaulkon pour fabriquer cette preuve? Avait-elle pu faire un marché avec lui en retour de quelque faveur ou d'autre chose ? Elle avait dit à Desfarges qu'elle était ici pour rechercher son frère missionnaire. Phaulkon était peut-être coupable, après tout. A présent, il comprenait mieux l'attitude de Maria. Il se remémora différents épisodes passés qui jetèrent un nouvel éclairage sur toute cette affaire : la réticence de Nellie à montrer le visage de Mark, son ardent désir de rencontrer Phaulkon, son empressement à quitter le fort.
Il se leva, furieux d'avoir été trahi et plus déterminé que jamais à se montrer désormais d'une extrême prudence.
Une semaine s était écoulée depuis le départ d'Ivatt : pour Bangkok, et Desfarges ne s'était toujours pas manifesté. Phaulkon s'était arrangé avec de Bèze pour que celui-ci l'envoie chercher dès que Sa Majesté serait en état de tenir une conversation. Un matin, on l'informa enfin que le roi le convoquait immédiatement à son chevet.
Phaulkon avait passé les deux derniers jours à parcourir le quartier étranger à la recherche de volontaires pour sa nouvelle unité de combat. 11 avait déjà engagé trente-cinq solides recrues désireuses d'en découdre - principalement des Portugais et des métis - ainsi qu'une poignée de mercenaires comme on en rencontrait partout sous les tropiques. Certes, ce n'était pas suffisant pour envahir le monastère où Petraja s'était réfugié mais, dès que le général siamois mettrait un pied dehors, ils étaient prêts à lui sauter dessus.
En pénétrant dans l'antichambre du Seigneur de la Vie, Phaulkon fut étonné d'apprendre de la bouche des pages que le roi avait été exceptionnellement lucide durant ces deux derniers jours et qu'il avait reçu un grand nombre de visiteurs. Perplexe, il pénétra dans la chambre royale et, tout en se prosternant jeta à de Bèze un regard accusateur. Pourquoi le jésuite ne l'avait-il pas fait chercher comme convenu? Front contre terre, le petit prêtre montra ses paumes ouvertes en signe d'impuissance.
Au même instant - fait sans précédent - le Seigneur de la Vie ordonna à tous ceux qui se trouvaient dans la pièce de sortir, y compris sa sœur, les esclaves chargés des éventails et le père de Bèze. Ce dernier adressa une grimace embarrassée à Phaulkon en rampant à reculons vers la porte.
Un sentiment de malaise s'empara du Grec quand
il vit l'entourage royal quitter la chambre au grand complet.
La porte se referma derrière eux et, dans le profond silence, on entendit résonner au loin le gong d'un temple. La respiration sifflante du roi déchirait l'air pesant avec une régularité monotone. Très ému, Phaulkon s'interrogea. Avait-il offensé Naraï de quelque façon pour qu'il ne juge pas urgent de le voir à son chevet? A moins qu'il n'ait vainement essayé de le joindre au cours de ces deux derniers jours... Il était tout à fait inhabituel qu'il renvoie ainsi ses familiers qui avaient tous juré le silence sous peine de mort.
Après une longue et atroce attente, la voix du roi interrompit le cours de ses pensées. Le Seigneur de la Vie s'exprimait lentement mais de façon très consciente.
«Vichaiyen, nous savons parfaitement que tu as demandé au docteur jésuite de te prévenir dès que notre esprit serait assez clair pour te parler. En fait, voilà deux jours que nous allons mieux, mais c'est de notre propre volonté que nous avons jugé bon de ne pas te faire chercher. »
Une nausée contracta l'estomac de Phaulkon. C'était la première fois que le Seigneur de la Vie se passait de ses avis et de ses visites quotidiennes. Il avait pourtant servi son maître loyalement chaque jour durant ces sept dernières années... Quelque chose s'était donc produit qui avait suscité son déplaisir?
«Vichaiyen, nous avons voulu déterminer par nous-même l'état réel des affaires de notre royaume.» Le roi marqua une pause et Phaulkon, angoissé, sentit son cœur se serrer. « Nous avons fait cela pour te marquer notre grande affection, Vichaiyen. Car tu ne te préoccupes pas assez de ta propre sécurité pour apprécier sainement les dangers qui te menacent. Nous avons
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