Le dernier vol du faucon
Seigneur, l'honneur que vous venez de m'accorder m'a tant comblé que je suis prêt, dès à présent, à mourir pour votre cause.
- Alors, si tu refuses de partir pour la France, Vichaiyen, reste à notre service jusqu'à notre mort. Ensemble, nous trouverons bien le moyen de déjouer les plans de Petraja.
- Auguste et Puissant Seigneur, moi, un simple grain de poussière, j'attends vos ordres.
- Fort bien. Sache alors qu'un homme proche de la mort sent une main se poser sur son épaule le pressant de pardonner à ceux qui lui ont fait du tort. Aussi avons-nous choisi, dans l'intérêt de la paix du royaume, de nous réconcilier avec notre plus jeune frère Chao Fa Noi et de le proclamer notre héritier. Nous avons également décidé, devant l'affection tenace de notre fille à son endroit, d'autoriser son mariage avec lui. Nous éviterons ainsi le terrible bain de sang qui se produirait sûrement si nous nous entêtions à faire monter sur le trône Pra Piya, un être sans défense et sans expérience qui, de surcroît, ne possède aucun droit légitime à la couronne. »
Phaulkon resta frappé de stupeur. Il lui fallut un instant pour reprendre ses esprits. Le Seigneur de la Vie n'allait tout de même pas faire la paix avec Petraja? L'accession de Chao Fa Noi au trône impliquerait en effet qu'il pardonne au général siamois, et une telle alliance signifiait à coup sûr la mort pour Phaulkon. Le roi se souvenait-il de la lettre de Dawee ?
«Auguste et Puissant Seigneur, Votre Majesté n'a pas oublié le pacte qui existe entre Chao Fa Noi et Petraja ?
- Loin de là, Vichaiyen, il est au premier plan de nos préoccupations. Mais cette apparente alliance n'est rien d'autre qu'une machination diabolique de Petraja.» Il s'arrêta pour aspirer une longue bouffée d'air. «Sorasak, notre maudit fils, est venu hier plaider sa cause auprès de nous et demander que nous le reconnaissions pour notre héritier. Bien que notre conscience nous ait parfois reproché de l 'avoir écarté, le temps a prouvé que notre instinct nous avait bien conseillé. C'est une nature fondamentalement diabolique et nous ne pourrions pas mourir en paix en léguant notre royaume à un homme qui a l'instinct d'un boucher. Cependant, nous avons appris de sa bouche quelle était la situation réelle. C'est Petraja lui-même qui cherche à usurper le trône et il se sert de Chao Fa Noi comme alibi. Nous savons aussi que c'est lui qui a répandu les fausses rumeurs prétendant que le jeune prince projetait de profaner nos restes mortels... »
Tremblant d'émotion, le roi se redressa sur son lit. «Nous lutterons contre lui jusqu'à notre dernier souffle... »
Phaulkon était de plus en plus abasourdi. Jamais il n'avait soupçonné Petraja de nourrir une telle ambition. Quels droits pouvait-il faire valoir pour prétendre au trône ?
«Vichaiyen, nous allons envoyer Sunida chercher Chao Fa Noi car nous voulons que tu restes en permanence à nos côtés. Par sa gentillesse, Sunida saura convaincre notre frère que notre convocation ici n'est pas un piège et que nous ne lui voulons pas de mal. Nous mettrons les cinq cents hommes de la garde du Palais à sa disposition et nous le proclamerons notre héritier. Mais nous avons besoin de ton avis, Vichaiyen, en ce qui concerne le général Desfarges.
Comment crois-tu qu'il réagira à ce changement de plan ? »
Phaulkon réfléchit rapidement. Desfarges était prêt à soutenir Piya tant que celui-ci promettait de se convertir au catholicisme. Chao Fa Noi, en revanche, resterait sans nul doute un bouddhiste convaincu. Le général français était manifestement retourné à Bangkok parce qu'il voulait éviter une confrontation avec les Siamois, jugeant préférable d'attendre la suite des événements à l'abri dans son fort. Il se demanda si Desfarges le considérait déjà comme une cause perdue. Il était essentiel de savoir ce qu'il pouvait penser car peut-être n'était-il pas trop tard pour s'emparer de Petraja avec son appui.
Phaulkon sut alors ce qu'il lui restait à faire. Il enverrait Nellie voir Desfarges puisqu'elle s'était souvent vantée des bonnes dispositions du général à son égard. Quel meilleur émissaire pouvait-il trouver? Ne l'avait-elle pas encore récemment assuré qu'elle était prête à faire n'importe quoi pour protéger sa position au Siam ?
«Auguste et Puissant Seigneur, avec votre permission, je voudrais envoyer une personne de confiance auprès du
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