Le dernier vol du faucon
surpris, et leurs yeux s'élargirent à la vue de Nellie. Figés, ils dévisagèrent les deux femmes la bouche ouverte. Un sourire amical aux lèvres, Sunida s'informa des possibilités de transport. Embarrassés, ils lui rendirent son sourire et, comme s'ils avaient perdu leur langue, montrèrent du doigt un village plus important un peu plus loin sur la route. L'une des vieilles femmes rassembla son courage et finit par murmurer timidement qu'il y avait là un vieux paysan qui louait parfois ses éléphants.
Après que Sunida l'eut remerciée, les deux femmes marchèrent en silence une dizaine de minutes avant de parvenir au village suivant, beaucoup plus important. Elles furent bientôt entourées d'une horde d'enfants curieux et de chiens aboyant qui accouraient pour les saluer. Un groupe de moines sortirent d'une hutte, leurs bols à offrandes à la main, et les observè-rent avec curiosité. Puis ils se mirent à parler entre eux à voix basse en leur jetant de fréquents regards.
Sunida s'alarma tandis que les moines continuaient à les dévisager. Avait-on déjà donné leur signalement ? Consciente de son trouble, Nellie posa une main apaisante sur son bras.
De nombreux villageois se pressaient maintenant autour d'elles en leur posant les questions d'usage. «Pai Nai ? Où allez-vous ? » « Pai Nai Ma ? D'où venez-vous ? » Ils ne semblaient pas hostiles mais ne manifestaient pas non plus leur cordialité habituelle vis-à-vis des étrangers. Sunida ne parvenait pas à savoir s'ils s'étonnaient de la présence de Nellie ou si la rumeur d'une invasion farang les avait déjà atteints.
Elle leur sourit et, d'un coup de coude, invita Nellie à faire de même. Puis elle expliqua aux paysans qu'elles faisaient route vers Ayuthia quand leur bateau avait chaviré au milieu du courant, les obligeant à gagner la rive à la nage. On leur avait dit qu'elles trouveraient ici un éléphant à louer et elles étaient venues dans ce but au village.
Il fallut un certain temps pour que ses paroles fassent le tour de la foule ; plusieurs garçons se mirent alors à courir avec excitation dans l'espoir d'être le premier à trouver le propriétaire de l'éléphant et de recevoir peut-être une petite récompense. Le temps qu'ils reviennent, Sunida s'était acquis un large auditoire. Debout sous un vénérable banyan, orgueil du village, elle régalait ses auditeurs, accroupis par terre sur des feuilles de palmier, d'un de ces récits imagés dont ils se montraient friands. Elle leur raconta que, cherchant son père disparu, elle était allée à Louvo solliciter de l'aide auprès du Seigneur de la Vie. Le roi lui avait donné sa bénédiction et permis de poursuivre ses recherches à Ayuthia. Les villageois, auxquels s'étaient joints les moines, l'écoutaient intensément et, quand elle eut terminé, ils accoururent pour leur offrir des fruits, des fleurs et des bols de riz agrémenté de poisson séché et d'une épaisse sauce brune.
Quand le propriétaire de l'éléphant fit enfin son apparition, il régnait une ambiance de fête. Sous les huées des habitants, gagnés à la cause des deux jeunes femmes, il dut réduire le prix demandé et décida à son tour de traiter avec bienveillance ces étrangères qui avaient d'aussi nobles relations. L'accord se conclut finalement au prix le plus bas qui fût jamais consenti, à la grande joie de tous. De nombreuses mains se tendirent pour aider Sunida et Nellie à s'installer sur le siège aux vives couleurs fixé sur le dos de l'animal. Les femmes étaient remplies de crainte et de curiosité devant la peau blanche de Nellie et elles se battaient pour la toucher en s'exclamant devant sa douceur.
Lorsque l'énorme bête se leva sous la conduite du jeune mahout assis sur son cou, le village tout entier souhaita bon voyage aux jeunes femmes et les accompagna jusqu'à la dernière hutte. Aux pastels de l'aube avait succédé un ciel d'un orange flamboyant et, du haut de leur perchoir, elles avaient une vue spectaculaire sur le large fleuve et sur les rizières aux reflets d'émeraude. Des buffles avançaient nonchalamment dans l'eau, aiguillonnés par de jeunes garçons qui s'arrêtaient pour regarder passer les voyageurs. Des oiseaux aux couleurs indescriptibles voletaient autour des arbres à pluie et des grenouilles croassaient gaiement dans les marécages. Jamais Nellie n'avait contemplé de spectacle aussi idyllique. Elle soupira. Comment pourrait-elle jamais décrire
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