Le dernier vol du faucon
à Mark de telles splendeurs ?
Elle se rendit compte soudain que ce n'était pas seulement Mark qui lui manquait mais aussi Phaulkon. Si seulement il était là pour partager ces moments avec elle! Elle sut alors au plus profond d'elle-même que jamais elle ne nuirait au père de son enfant. La colère qui l'avait si longtemps habitée avait disparu, sans doute à jamais, cédant la place à une affection assez proche des sentiments qu'elle avait éprouvés pour lui autrefois. Un léger frisson la parcourut. Que lui arrivait-il ?
Le voyage se poursuivit pendant plusieurs heures en silence, bercé par le balancement régulier du pachyderme. Sunida ôta l'écharpe qui lui couvrait la poitrine et insista pour que Nellie s'en serve afin de protéger sa tête du soleil implacable. Nellie sourit en regardant à la dérobée les seins parfaits de Sunida. Elle était aussi belle que sage, cette charmante concubine de Phaulkon. A cette pensée, une pointe de jalousie la traversa pour disparaître aussitôt.
Vers midi, tandis que la chaleur et l'humidité étaient à leur comble, elles rencontrèrent des hordes de villageois cheminant sur la route. La foule, trop compacte pour qu'il soit possible de la traverser, les obligea à ralentir l'allure. Heureusement, tous paraissaient trop occupés d'eux-mêmes pour leur prêter attention. Elles n'eurent donc pas d'autre choix que de suivre le mouvement. De temps à autre, quelqu'un se retournait pour les observer mais sans témoigner à leur endroit une particulière curiosité.
Le chemin déboucha un peu plus loin sur une vaste clairière qui permit à la multitude de se disperser. Surprises, les deux femmes y retrouvèrent les soldats français. Sunida comprit alors ce qui se passait. Les villageois les avaient suivis tout en demeurant à bonne distance car les officiers étaient bien armés -elle avait vu leurs mousquets sur le bateau quand ils les avaient mis à l'abri de la pluie.
Sur le qui-vive, les officiers se retournaient fréquemment pour observer la foule qui les traquait, telle une meute de loups. On voyait bien qu'ils avaient peur et Sunida devina qu'ils ne devaient pas avoir mangé depuis un certain temps. Non sans appréhension, elle se demanda si les moines ou les rameurs qui s'étaient enfuis avaient donné une description d'elle et de Nellie en même temps que des officiers farangs. Mais, jusque-là, personne ne semblait s'intéresser à elles. Il se pouvait que dans l'esprit des poursuivants, il n'y eût aucun rapport entre des soldats farangs armés et deux femmes sur un éléphant. Elle craignait cependant que les Français, en les reconnaissant, ne s'adressent à elles et que les villageois ne fassent le
rapprochement avec les deux femmes du bateau dont ils avaient certainement entendu parler.
Pour éviter d'éveiller des soupçons, Sunida fit comprendre à Nellie qu'elles devaient descendre et se mêler au cortège. Elle dit au mahout que la mem avait envie de se dégourdir les jambes et qu'il devait suivre derrière à quelque distance. Curieusement, à présent qu'elles se mêlaient à eux en fermant la marche, les paysans semblèrent s'intéresser davantage à elles. Ils étaient de plus en plus nombreux à se retourner pour les dévisager et les craintes de Sunida augmentaient à chaque pas.
L'immense convoi s'immobilisa soudain. Sunida s'efforça de regarder à l'avant par-dessus les têtes mais, bien qu'elle soit grande pour une Siamoise, son regard ne dépassa pas quelques rangées. Les farangs, qu'elle avait pu apercevoir du haut de l'éléphant, étaient à présent hors de vue.
Comme tout le monde était arrêté, l'un des paysans - un homme massif couvert de tatouages sur la poitrine et les bras - se tourna vers Sunida et lui demanda si Nellie était la femme d'un des farangs.
«Oh, non! s'exclama Sunida en feignant de rire d'une telle allégation. Elle les déteste. Ils nous ont poussées hors de notre bateau un peu plus tôt et elle aimerait bien prendre sa revanche sur eux. Tout comme moi d'ailleurs!»
Le paysan la contempla sans dire un mot. Sunida n'aimait pas la manière dont il la regardait. Elle l'entendit parler à mi-voix à ses compagnons et quand plusieurs d'entre eux se retournèrent pour les dévisager, elle sut qu'il était en train de parler d'elles. De plus en plus mal à l'aise, elle se demanda s'il ne valait pas mieux remonter sur l'éléphant pour prendre une autre direction. Mais cela ne ferait qu'attirer davantage
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