Le dernier vol du faucon
bleues des modestes appartements alloués aux princes.
«Honorable Dame, il est interdit d'entrer ici sans un laissez-passer spécial. Quelle est donc l'affaire urgente qui vous amène ? »
Un garde au visage marqué par la petite vérole, vêtu d'une tunique rouge et d'un calot assorti, s'était avancé, regardant Sunida et son escorte avec suspicion. Il était manifeste que les hommes qui l'accompagnaient n'avaient pas qualité d'intervenir en ce lieu retiré de la cité royale. Sunida se dit que le prince ne devait pas recevoir beaucoup de visiteurs.
«Je suis envoyée par le Seigneur de la Vie et j'apporte un message de Sa Majesté pour ses royaux frères», annonça-t-elle d'un ton ferme.
En entendant mentionner le roi, le robuste garde se prosterna à trois reprises. «Quelle preuve avez-vous de votre mission, Noble Dame ? »
Cette fois, le soupçon avait cédé la place à la curiosité.
Du bout des doigts, Sunida fouilla dans ses cheveux et en retira la bague ornée d'un magnifique rubis qu'elle avait fixée au sommet de sa tête. Ce ne fut pas une tâche aisée et elle y laissa quelques cheveux ce qui lui arracha une grimace de douleur. A la vue de l'énorme pierre étincelante, les veux du garde et de son escorte s'élargirent. Sunida se remémora l'ins-tant où le Seigneur de la Vie s'était péniblement redressé dans son lit pour la lui remettre. Sa voix douce résonnait encore à ses oreilles: «Notre père a donné à chacun de ses fils une bague semblable, Sunida, et notre frère la reconnaîtra sur-le-champ. Il sera alors convaincu que tu es bien envoyée par nous. Fixe-la sur ta tête et recouvre-la de ton épaisse chevelure. Il est préférable qu'elle demeure invisible car une telle pierre attirerait imprudemment l'attention sur toi. »
Quand elle la tendit au garde, l'éblouissante pierre capta les rayons du soleil levant et lança un éclat aveuglant.
«Je vous prie de remettre ceci à Son Altesse Royale Chao Fa Noi, demanda-t-elle. Il saura d'où je viens.»
Impressionné, l'homme s'inclina avant de s'éloigner rapidement, laissant derrière lui Sunida et son escorte qui attendaient en silence. La jeune femme préparait mentalement ce qu'elle allait dire au prince. Quel long chemin j'ai parcouru, songea-t-elle, en se remémorant l'époque où, petite fille, elle étudiait la danse classique à la cour de Ligor. Me voici devenue aujourd'hui l'émissaire du roi...
Le garde revint et, après s'être incliné front contre terre, il se confondit en excuses de se voir obligé de fouiller la jeune femme. Après un bref examen, Sunida fut introduite dans une antichambre maigrement meublée où attendaient en silence trois prêtres farangs. Ils semblaient des plus timides, évitant ses regards et se dissimulant sous leurs capuchons relevés. Elle était curieuse de leur parler, sachant que nombre d'entre eux connaissaient le siamois et que l'évêque français d'Ayuthia, de même que plusieurs jésuites, étaient des amis de Phaulkon. Peut-être apprendrait-elle quelque chose d'eux. Voyant qu'ils s'étaient accroupis en rang face à la porte, elle s'installa à côté d'eux et s'adressa en siamois à son plus proche voisin, espérant qu'il pourrait la comprendre. Finalement, après avoir répété plusieurs fois sa question, elle le vit secouer négativement la tête en continuant à dissimuler son visage.
Étonnée, elle se demanda comment ils allaient pouvoir communiquer avec le prince.
«L'un de vous parle-t-il siamois, saints pères?»
Mais avant qu'ils n'aient eu le temps de lui répondre, la porte s'ouvrit et un garde déférent l'invita à le suivre. Sa mission royale lui avait valu la préséance sur les prêtres.
Arrivée à la porte, elle se retourna à nouveau pour les regarder. Ils s'enfoncèrent un peu plus sous leur capuche et elle ne put qu'entrevoir leur visage. Celui auquel elle s'était adressée semblait être un Eurasien, le second un Européen et le troisième un Siamois. L'Européen avait une expression brutale, absente de toute piété. Ils devaient craindre de regarder une femme ainsi que l'aurait fait tout moine bouddhiste.
Quand elle fut introduite dans les appartements du prince, elle constata que ce dernier n'avait rien perdu de sa légendaire beauté. Elle éprouva un malaise en se sentant étudiée de près sous son regard lascif. Malgré le terrible châtiment qu'il avait reçu, Sunida ne put s'empêcher de se demander à quel point il avait été changé
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