Le dernier vol du faucon
peau.
« Saluez-moi maintenant et partez», dit-il d'une voix pressante, craignant que le prochain coup ne soit fatal.
Les Portugais s'inclinèrent. «Nous allons revenir et escalader les murs, ayez confiance, mon Seigneur», lança Joao.
Il se tourna vers ses hommes et leur fit signe de rebrousser chemin. Ils s'éloignèrent à contrecœur en jetant de temps en temps derrière eux un regard lourd de regrets. Les gardes de Phaulkon les avaient rejoints et l'un des hommes de Joao, qui parlait un peu siamois, leur expliqua la situation à voix basse.
«Vous leur avez certainement dit de revenir, Vichaiyen, dit Petraja. Mais vous perdez votre temps et le leur. Là où je vais vous conduire, personne n 'entendra plus jamais parler de vous. »
Le cœur de Phaulkon se serra, pourtant il ne posa aucune question. Petraja n'aurait été que trop heureux de le voir perdre son sang-froid.
«Croyez-moi, Petraja. Si vous êtes assez fou pour vous en prendre à moi, vous signez votre propre arrêt de mort. Les Français vous détruiront.
- A Bangkok, le général ne semble pas tellement soucieux de vous venir en aide, Vichaiyen.
- Il n'a aucune raison de s'inquiéter tant que je suis libre, rétorqua Phaulkon. Mais si vous m'arrêtez, il changera d'attitude. Vous oubliez que je suis un mandarin en France et un ami de leur roi.
- Ici, vous êtes un traître, répliqua Petraja avec un mince sourire. Et vous serez puni en conséquence.
- Je vous ai déjà averti de ce qui se passerait si vous osiez lever la main sur moi.
- Ce que je prévois pour vous est bien pire que la mort, Vichaiyen.»
Une joie diabolique tordit son visage. «Tout le monde ignorera à jamais votre sort», ajouta-t-il en pointant un doigt vers le sol.
Phaulkon se sentit pris de vertige mais il réussit à demeurer impassible. «Je suis le serviteur du Seigneur de la Vie et l'unique mandataire de ses volontés. Seul le roi a le pouvoir de donner un tel ordre. »
Petraja grimaça un sourire. « Le Seigneur de la Vie est mourant et il m'a chargé de le suppléer. Toute la population est maintenant au courant de cette passation de pouvoir. »
Phaulkon eut l'impression que tout s'effondrait autour de lui. «C'est un mensonge éhonté, Petraja. Je veux entendre cela de la bouche même du roi. Conduisez-moi à lui.
- Il est trop malade pour recevoir qui que ce soit,
Vichaiyen. Mais regardez donc autour de vous si vous avez le moindre doute. » Tout en parlant, il fit un large geste circulaire.
Ils avaient entre-temps traversé deux cours et tous ceux qu'ils croisaient - esclaves, pages, gardes, eunuques - se prosternaient sur leur passage. À la manière dont les gens les regardaient, Phaulkon comprit que c'était à Petraja qu'ils obéissaient. Le général orienta ses pas vers un large chemin qui longeait les écuries abritant les éléphants royaux. Phaulkon était rarement venu dans cette partie du Palais mais, d'ores et déjà, il savait que c'était la direction des cachots royaux.
30
Le Palais royal d Ayuthia, capitale du pays, était trois fois plus grand que celui de Louvo. C'était une véritable ville dans la ville, et personne ne pouvait y pénétrer sans autorisation, sous peine de mort. Sunida y avait vécu plusieurs mois dans le quartier des femmes - officiellement comme l'une des cinq cents concubines royales - avant que le Seigneur de la Vie ne s'installe à Louvo. Ici, les gardes la connaissaient bien. Aussi ne firent-ils pas de difficultés -incités en cela par une bonne gratification - pour lui accorder ainsi qu'à Nellie une chambre confortable dans le harem maintenant désert.
Choquées et épuisées par les terribles événements de la journée, elles s'étaient effondrées sur leurs nattes de joncs et aussitôt endormies. Le lendemain, à la pointe de l'aube, Sunida avait accompagné Nellie aux docks et loué pour elle une place sur un bateau assurant la liaison régulière avec Bangkok. A Ayuthia, l'atmosphère n'était pas aussi oppressante qu'à Louvo et les gens continuaient à vaquer normalement à leurs
affaires. Mais les quelques farangs qu'elles avaient croisés sur leur route - des marchands ou des prêtres -affichaient néanmoins des mines vaguement inquiètes.
Sur le quai encombré, Nellie prit Sunida dans ses bras et l'embrassa avec affection. Ce n'était guère une manière de se dire au revoir au Siam, mais c'était la seule façon pour elle d'exprimer sa reconnaissance et son amitié à cette jeune
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