Le dernier vol du faucon
raidit et regarda la silhouette allongée mais il se trouvait trop loin pour distinguer ses traits. Une odeur âcre flotta dans l'air étouffant et parvint jusqu'à ses narines. Il plissa le nez. On aurait dit de la chair brûlée.
Il vit l'homme au-dessus de la porte sauter soudain à terre. Pas d'erreur: un tel exploit était signé Vasco le singe! Il atterrit juste aux pieds de l'un des deux gardes et la bagarre se déchaîna. Joao s'apprêtait à retourner chercher ses hommes quand un cri perçant, provenant de l'intérieur du bâtiment, déchira l'air.
Ils l'avaient enfermé dans une cellule humide et sans air. Pas de lumière et les rats pour seule compagnie.
Enchaîné, il n'avait aucun moyen de se protéger d'eux. Quand il avait tenté de les repousser, les chaînes lui étaient entrées profondément dans la chair.
Il se demanda quel était le pire: avoir les chairs meurtries ou subir l'assaut des rats affamés avec leur hideuse fourrure et leurs dents acérées. Il ne parvenait pas à dormir plus de quelques minutes à la suite. Depuis combien de temps était-il dans ce cachot glacial? Un jour, deux? Difficile à dire dans cette obscurité permanente. Chaque fois qu'il fermait les yeux, le même cauchemar l'assaillait, il voyait Sunida et Nellie aux mains des hommes de Petraja - violées, peut-être tuées. Curieusement, il était moins inquiet pour la sécurité de Mark.
Il se demanda pour la centième fois pourquoi Petraja ne l'avait pas fait mettre à mort. Une seule explication à cela: le traître craignait la réaction de Desfarges, préférant retenir Phaulkon prisonnier en attendant de connaître de quelles représailles le menaceraient les Français. Si Desfarges réclamait des comptes, Phaulkon pourrait alors se révéler une bonne monnaie d'échange. Vivant, il représentait une certaine valeur tandis que mort, il ne servait plus à rien.
Mais l'ambivalent Desfarges parviendrait-il à comprendre la stratégie de Petraja? Réaliserait-il qu'une fois le général siamois au pouvoir, les jours de la France au Siam seraient comptés et la mission de Louis XIV condamnée? Se rendrait-il compte que Petraja était profondément hostile aux farangs ?
Phaulkon regrettait de n'avoir pas appelé à l'aide quand il était sur les remparts. Il aurait peut-être même dû sauter. Qu'était une jambe cassée à côté de ce cachot infect?
Une autre question le tourmentait. N'aurait-il pas dû partir pour Bangkok avec sa famille quand c'était encore possible ? Mais, là aussi, il butait toujours sur la même réponse. Il n'aurait jamais pu abandonner son roi. La chance avait joué contre lui, voilà tout. Même maintenant, il était le seul en mesure d'arrêter Petraja, du moins si les Français réclamaient sa libération. Tant que le roi était encore en vie, il restait une once d'espoir car Petraja n'oserait pas mettre à mort son vassal. Naraï le Grand était le roi bien-aimé de son peuple. Dire que ce couard de Desfarges avait fait serment de le protéger!
Et que diable fabriquaient donc Joao et ses mercenaires? Pourquoi n'étaient-ils pas encore venus à son secours? Avaient-ils été déjoués? Écrasés sous le nombre?
Épuisé, le corps en feu et l'esprit en déroute, Phaulkon se laissa retomber sur la pierre dure.
Ce ne fut que plusieurs heures plus tard que la porte de sa cellule grinça en s'ouvrant. Un garde qu'il ne connaissait pas se tenait sur le seuil et lui fit signe de se lever. Il lui fallut un long moment pour pouvoir bouger, même après avoir été libéré de ses chaînes. Ses membres étaient raides et douloureux. Il finit par se traîner derrière le garde et monta péniblement à sa suite quelques marches menant à un couloir plongé dans la pénombre. On le conduisit alors dans une pièce sans fenêtre, éclairée par des torches. Des gardes, torse nu, se tenaient nonchalamment près de la seule autre porte, à l'extrémité la plus éloignée de la pièce. Ils le regardaient distraitement comme s'il n'existait pas. Des civières de bambou étaient posées dans un coin, côte à côte.
Trois dalles de pierre de la longueur d'un corps étaient placées à distance égale dans la pièce, chacune d'elles recouverte d'une natte de joncs et équipée, de chaque côté, d'un jeu de cordes. Phaulkon reconnut la salle des tortures et sentit son estomac se contracter. Il avait déjà perdu beaucoup de forces. C'était sans doute pour cela qu'on l'avait laissé si longtemps
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