Le dernier vol du faucon
aucun mouvement. Seules quelques toux venaient troubler la quiétude de cette heure tardive.
Pieds nus, le moine traversa silencieusement la cour et gagna la porte du monastère. Un homme portant une torche l'y attendait et, à son arrivée, s'inclina profondément devant lui. Les deux hommes n'échangèrent ni paroles, ni salutations et se mirent en route immédiatement, traversant la ville endormie. Les habitations se firent bientôt plus rares et ils quittèrent la route pour emprunter un étroit sentier serpentant à travers les rizières. Malgré l'heure nocturne, l'air était encore lourd de chaleur et la lueur vacillante de la torche jetait des ombres étranges sur les champs inondés. Des nuées de lucioles dansaient dans la nuit, les grenouilles, tapies dans les hautes herbes, poussaient leurs croassements entêtants. Les deux hommes marchaient l'un derrière l'autre, le moine à quelques pas de son capitaine. Ils distinguèrent enfin au loin une hutte sur pilotis surplombée d'un toit en pente. Les fenêtres étaient éclairées par le halo tremblotant des lampes.
Le capitaine se retourna et inclina la tête.
« Nous sommes arrivés, Vénérable.
- Ces hommes que j'aperçois là-bas sont-ils les miens ? »
Le regard aigu du moine semblait ignorer l'obscurité environnante et le ton abrupt de sa voix révélait une longue habitude du commandement. La lueur de la torche vint éclairer ses traits réguliers, soulignant la ligne creuse des joues et les yeux noirs et pénétrants, des yeux nettement plus arrondis que ceux des Siamois. Sa robe safran dissimulait mal la solide musculature d'un corps rompu à tous les exercices.
Le capitaine sourit nerveusement. «Quelques-uns d'entre eux gardent la maison. Mais, à l'intérieur, il n'y a que deux femmes et leurs esclaves.»
Le moine haussa un sourcil. «Ht c'est tout? Après ton appel, je m'attendais à une menace plus sérieuse. »
Il pinça les lèvres. Ses hommes savaient pourtant qu'il lui était interdit de quitter le monastère. Il leur fallait vraiment une bonne raison pour le faire venir jusqu'ici.
«Très saint homme, ces femmes sont issues d'une
très puissante famille des provinces du Nord. Leur suite se compose de cinquante personnes. Elles ont insisté pour vous parler de toute urgence. Nous avons tenu cependant à ce que leurs serviteurs demeurent dans un village voisin. Mais, même ainsi, nous avons estimé plus sage de prendre des précautions et nous avons payé un fermier pour qu'il nous laisse l'usage de cette hutte isolée et, naturellement, acheter son silence.
- Tu as bien fait. Allons... conduis-moi à l'intérieur. »
Ils escaladèrent les échelles et pénétrèrent dans la modeste demeure. Le moine jeta un regard circulaire, embrassant d'un seul coup d'œil tous les recoins de l'unique pièce. Comme dans toute hutte de paysan, l'aménagement y était des plus simples: un paravent de bambou, deux jarres de terre posées à même le sol recouvert de nattes de jonc. Le regard aiguisé du moine avait eu le temps d'enregistrer en entrant le mouvement furtif d'une silhouette courant se cacher derrière le paravent.
Au fond de la pièce, une femme d'âge moyen, encore belle, était accroupie. Son beau visage aux traits aristocratiques était encadré de cheveux noirs striés de gris. Une flamme douloureuse éclairait ses grands yeux sombres, des yeux témoins de bien des souffrances. Elle portait un luxueux panung brodé d'argent, et six esclaves - trois hommes et trois femmes -étaient prosternés autour d'elle.
Quatre porteurs de torches se trouvaient également dans la pièce. Le moine nota avec satisfaction que tous faisaient partie de sa garde personnelle, des hommes entraînés à intervenir dans des embuscades ou pour le protéger des indésirables.
La femme se prosterna devant le moine qui lui rendit son salut, joignant ses mains devant le front. Puis il s'assit sur une natte en face d'elle, jambes croisées. Malgré ses cinquante ans, il se mouvait avec aisance.
«Saint homme, commença la femme, je n'ignore pas qu'il est passé minuit et que je suis indigne d'interrompre une vie consacrée à la méditation. Cepen-
dant j'implore votre indulgence car j'ai voyagé six longs jours pour vous voir. Mon mari voulait solliciter directement une audience auprès du Seigneur de la Vie, mais je l 'ai persuadé de me laisser vous parler d'abord. »
Elle le regarda avec une calme détermination et il fut frappé par la noblesse
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