Le dernier vol du faucon
d'élite attachée à la protection du roi. Ici, à l'intérieur de ces murs, personne n'était autorisé à se tenir debout, sauf pour se déplacer.
Ils franchirent ensuite des jardins paisibles et frais, ornés de buissons magnifiques taillés en forme d'animaux. Des poissons aux couleurs éclatantes nageaient gracieusement dans les bassins recouverts de lotus. Cependant le malaise de Phaulkon persistait et son esprit demeurait préoccupé par la santé de son maître. Dans quel état allait-il le retrouver après ces longues semaines d'absence et la défection prolongée du père de Bèze ?
Nerveusement, il redressa son chapeau conique orné de trois anneaux d'or et tâta autour de son menton la jugulaire brodée qui le maintenait en place. Comme l'exigeait la coutume, il le portait toujours dans ses déplacements afin de signaler le rang suprême qu'il occupait parmi les mandarins. Il ne se séparait jamais non plus de sa boîte à bétel incrustée de diamants qu'il devait tenir sous le bras, conformément au sévère protocole royal. Chapeau et boîte incarnaient les symboles de sa position élevée. Quant à son panung de soie ancienne filetée d'or, c'était un cadeau du Seigneur de la Vie et il n'était autorisé à le porter qu'en présence du monarque ou, dans des cas exceptionnels, avec son autorisation expresse.
Le capitaine des gardes pénétra dans une allée bor-
dée d'arbres et ralentit le pas. Ils approchaient de l'entrée du sanctuaire intérieur lorsque quatre robustes gardes leur barrèrent le chemin. Derrière eux, à quelque distance, se dressaient des rangées de toits jaunes aux bords recourbés, alignés par ordre croissant de hauteur. Leurs tuiles dorées luisaient doucement dans la lumière tombante. Phaulkon savait que le plus élevé d'entre eux abritait les appartements royaux, car le souverain devait toujours se trouver plus haut que ses sujets, que ce soit sur un balcon surplombant la salle d'audience, un trône surmontant la barque royale ou dans le howdah fixé sur le dos de son éléphant favori. Ces dispositions favorisaient le maintien de son prestige et dissimulaient habilement le fait que le roi était de petite taille.
Deux gardes s'approchèrent du Barcalon, l'un pour lui palper rapidement le corps à la recherche d'armes, l'autre pour renifler sa bouche afin de s'assurer qu'il n'avait pas bu d'alcool. Puis il changea encore d'escorte et deux nouveaux soldats l'accompagnèrent jusqu'au seuil d'une porte basse. Ils empruntèrent un labyrinthe de couloirs faiblement éclairés et Phaulkon se souvint que, selon la rumeur, les monarques du Siam avaient plusieurs appartements, occupant tantôt l'un, tantôt l'autre pour déjouer toute tentative d'assassinat ou de complot.
Ils continuèrent à escalader des volées de marches jusqu'à ce que les couloirs deviennent plus larges et plus décorés. Le sol était maintenant recouvert de tapis de Perse et les murs lambrissés exhalaient un doux parfum de bois exotiques. Des niches creusées par intervalles dans les murs éclairés par des torches offraient à la vue de précieuses porcelaines Ming: vases, soupières ou bols.
Ils parvinrent enfin sur le seuil de l'antichambre royale. Les gardes s'immobilisèrent et attendirent que deux jeunes pages viennent les relayer. Ces derniers firent entrer le visiteur et lui demandèrent poliment d'attendre.
Phaulkon jeta un regard prudent autour de lui.
Une collection de tablettes votives bouddhistes était accrochée à un mur mais le plus saisissant était un grand cabinet à bijoux qui se dressait sur un côté de la pièce. On pouvait y admirer un splendide hamsa, une reproduction en or massif de l'oiseau mythique, ainsi que toute une collection de délicates mules incrustées de mille pierres précieuses. Phaulkon était tellement fasciné par la beauté de ce travail d'art qu'il ne remarqua pas la silhouette qui s'était glissée dans la pièce et attendait, front contre terre.
C'était Omun Sri Munchay, le Premier Gentilhomme de la Chambre du roi, un officier de rang élevé qui devait beaucoup à Phaulkon. Tout jeune, il avait été page royal puis renvoyé à l'âge de la puberté avant que les délices du harem du roi ne le fassent succomber. Sur la recommandation de Phaulkon qui avait pressenti ses talents, il avait été promu à son poste actuel, statut prestigieux qui lui accordait l'honneur exclusif de toucher le bonnet et autres couvre-chefs du roi. Dans un pays où
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