Le dernier vol du faucon
lumières, était plongé dans le silence.
« Crois-tu que je doive t'accompagner au fort demain, mère ? »
Mark avait été passablement énervé par l'expérience plutôt agitée de son apparition dans le village, cinq jours plus tôt.
«Je me posais la même question. Il est peut-être préférable que je m'y rende seule. Les officiers du fort pourraient eux aussi noter la ressemblance. Et si nous voulons faire une surprise à ton père, il ne faut pas qu'il soit averti de ta présence ici. Il vaudrait mieux que tu restes un peu à l'écart pendant quelque temps. »
Nellie retint un sourire. Elle aussi se sentait impatiente de se retrouver face à Constant, quoique pour des raisons différentes.
«Dommage, soupira Mark. Cet endroit me fascine. Il va m'être pénible d'attendre encore avant de pouvoir l'explorer à ma guise.» Il esquissa une grimace. «Mais je suppose que c'est mieux ainsi, sinon tout le monde continuerait à tomber à plat ventre devant moi ! »
Elle le regarda en riant. «J'espère bien que tout cela ne va pas te monter à la tête !
- Comment allons-nous faire pour surprendre mon père? demanda-t-il, brusquement sérieux. Il vit sans doute dans un endroit fortifié entouré de gardes. »
En réalité, tout en brûlant de curiosité à l'idée de connaître enfin son vrai père, cette perspective l'effrayait. Il ne demandait qu'à aimer cet homme que l'on disait si remarquable. Mais il ne pouvait non plus s'empêcher d'éprouver à son égard du ressentiment. Pourquoi Phaulkon ne s etait-il jamais manifesté durant toutes ces années? Selon Nellie, il ignorait qu'elle était enceinte, mais n'avait-il pas, cependant, juré de revenir auprès d'elle ?
Ces sentiments conflictuels n'entamaient pas, toutefois, l'admiration qu'il éprouvait pour cet homme capable de se hisser à un rang aussi élevé dans un pays qui n'était pas le sien. Et puis le garçon se sentait soulagé à l'idée que son vrai père n'était pas aussi vieux que le sévère Jack Tucker. Durant toute son enfance, les autres garçons du voisinage s'étaient souvent moqués de l'âge de ce père adoptif qu'ils surnommaient «Barbe grise». Jack Tucker était un homme brutal dont il avait dû endurer de cruelles raclées.
Il regarda sa mère, l'air préoccupé. «Comment parviendrons-nous jusqu'à lui?
- Espérons que le général français pourra nous servir d'intermédiaire », répondit-elle, pensive.
La lueur des chandelles faiblissait et leur flamme tremblotait sous la brise parfumée de la nuit. À l'ex-trémité de la jetée de bois, déserte à cette heure, les marins avaient laissé sur le rivage une torche allumée de sorte que, même si les chandelles s'éteignaient, on pourrait encore y voir suffisamment. Nellie et Mark n'avaient guère envie de descendre dans leur cabine sous le pont, une alcôve étroite munie d'une minuscule fenêtre, véritable étuve quand le bateau était à quai.
«Je crois que je vais dormir cette nuit sur le pont, déclara Nellie, à présent que nous avons ces merveilleuses moustiquaires.
- Moi aussi. C'est vraiment un luxe. »
Mark descendit chercher deux oreillers et en donna un à sa mère. Puis ils s'étendirent et gardèrent le silence, l'oreille tendue vers les bruits de la nuit. Soudain, alors qu'ils allaient plonger dans le sommeil, un son différent se distingua dans le chœur nocturne familier. Mark dressa l'oreille. On aurait dit un cri lointain qui allait en se rapprochant. Ce son déchirant le silence avait quelque chose d'étrange, de terrifiant même. Nellie se redressa et jeta un regard anxieux à son fils.
«Tu as entendu? chuchota-t-elle.
- Chut», fit-il, un doigt sur les lèvres. Les sens en alerte, ils écoutèrent, retenant leur souffle.
Le cri suivant fut plus distinct. Une voix d'homme déchira la nuit.
« Chuey noi ! »
Plus de doute, cette fois. Cela ressemblait à un appel au secours.
Mark se redressa en entendant les cris se rapprocher, haletants, désespérés. « Qui que ce soit, il vient par ici. »
Nellie le regarda, alarmée. Il y avait quelque chose d'effrayant à entendre cela sans rien voir de ce qui se passait. Au-delà du cercle de lumière dessiné par la torche régnait une obscurité impénétrable. On distingua des pas, de plus en plus nets.
Nellie se mit debout sur le pont, scrutant fébrilement la nuit. Aucun autre bateau n'était en vue. Ils étaient totalement seuls. À la lueur de la torche, elle vit alors une silhouette
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